Cahier de guerre 14-18 de Constant VINCENT

Retranscription brute non documentée

colorisation par Clélia BILLIARD

1914

Service militaire et mobilisation

Etant de la classe 1912 je fus appelé en 1913 le 10 octobre pour faire deux ans au 57ème d'Infanterie 7ème Compagnie à Rochefort-sur-Mer. Pendant dix mois la vie fut assez agréable. J'allais en permission de vingt-quatre heures assez souvent. A Noël 1913 j'ai obtenu huit jours. A Pâques 1914 huit jours. Au mois de juillet nous sommes partis de Rochefort à Bordeaux à pied pour faire des évolutions de quelques jours. Le régiment était cantonné au camp de Saint Médard sous les tentes. Le 144ème était avec nous. Pour notre retour nous avons embarqué à la gare Saint Jean à Bordeaux. Le lendemain de notre retour à Rochefort je partais en permission de moisson de douze jours. Le vingt juillet je suis allé en permission de vingt-quatre heures en Vendée chez mon frère Henri. Sa petite fille avait à ce moment une quinzaine de jours. A mon retour à Rochefort on entendait qu'une seule conversation. " Nous allons avoir la guerre ". Cette parole n'épouvantait point personne car jusqu'au deux août la plupart ne voulait le croire. Malgré cela jusqu'au jour dit nous nous tenions presque toujours à la caserne.

Enfin le deux août 1914 à deux heures de l'après-midi la mobilisation était annoncée dans toute la France. A la caserne elle fut annoncée par le clairon. Aussi à cette sonnerie si triste chacun de nous eut un moment d'émotion qui dura peu il est vrai. A l'heure de la soupe on vient nous annoncer que le soir même il y avait retraite. On fit le tour de la ville en chantant avec en tête les musiques du 3ème Coloniale, du 57ème et des marins. Nous avons eu permission de la nuit. Et chose étrange on a vu marins et fantassins ensemble comme des frères qui avant cela se voyaient tout à fait mal. Le trois août la 7ème et 8ème compagnies nous quittions la caserne Martrou pour aller au Lycée. Le quatre on finit de nous habiller. Le cinq on nous a donné les cartouches. A 7 heures du soir nous avons formé les faisceaux de sacs et de fusils dans la cour. A minuit nous quittions le Lycée pour nous rendre à la gare embarquer. Dans les rues il y a une foule immense à nous voir partir et pour beaucoup ce sont des pleurs. Mais malgré tout soldats et officiers partent contents car aucun de nous ne se faisait une idée de ce qui allait nous arriver.

En route vers la Lorraine

Le 6 août vers six heures du matin nous quittions Rochefort en emportant avec nous le vrai espoir du retour et de la victoire. Jusqu'à Niort règne un vrai silence car beaucoup d'entre nous jettent un coup d'œil sur le pays natal et d'un air de compassion on se demande si ça sera peut-être pas le dernier. A Niort la gare est pleine de monde allant et venant. Beaucoup nous souhaitent bonne chance et prompt retour avec la victoire. On nous donne en quantité des bouquets de toute sorte de fleurs. Nous en ornons les wagons avec l'inscription " Train de plaisir pour Berlin ". A Saint-Maixent même chose. Aussi la gaieté est-elle revenue. On chante à tue-tête comme si tout allait bien. Enfin nous voilà à Orléans. On nous annonce une demie-heure d'arrêt et on nous donne le café. On repart et on continue notre route dans la direction de l'est. A 6 heures du soir nous débarquons et il pleut aussi tout n'est pas gai.

Nous sommes allés cantonner à 6 kilomètres. La pluie continue toujours. Nous arrivons. On fait la soupe vers neuf heures. On se couche et à dix heures alerte. Tout le monde sort à moitié déshabillé avec le fusil à la main. Au bout de dix minutes on s'aperçoit que c'est une blague. Au lieu d'être une patrouille de Hulans ce sont des vaches qui courent dans les champs. On en rigole mais on se dit que c'est la guerre qui commence.

Nous sommes restés là deux jours. Le lendemain de notre arrivée le beau temps est venu faire son apparition. Le petit village où nous étions était situé sur le bord d'une rivière où nous avons pu aller à la pêche et nous baigner. Enfin arrive le moment où on se met en route. Marche de plusieurs jours qui ont été très fatigants à cause des grandes chaleurs. Nous sommes passés à Pont-Saint-Vincent et de là nous avons suivi la ligne des forts et la rivière.

Et enfin le 15 août nous étions cantonnés dans un petit pays à quelques kilomètres de Pont-à-Mousson et malgré le mauvais temps et la fête nous sommes allés faire l'exercice et les tranchées. La soirée il y eu musique. Le 16 Août nous quittons ce pays en toute hâte pour nous rendre à Pagny-sur-Meuse en l'espace de deux jours, malgré que le premier il pleut et le deuxième il fait très chaud. Nous sommes arrivés à Pagny-sur-Meuse dans la soirée du 17 à 5 heures du soir. Nous avons fait grande halte en attendant le 123ème d'Infanterie. A partir de la tombée de la nuit nous sommes allés embarquer. Là j'ai vu Monsieur Souc docteur à Gémozac et qui à ce moment là était major au 58ème d'Artillerie.

Arrivée en Belgique - bataille de Charleroi

A dix heures du soir nous quittions Pagny-sur-Meuse et le lendemain (18 août) à 6 heures du matin nous débarquions à Sens (Sains) dans le Nord. Et là nous sommes allés cantonner à cinq cents mètres de la frontière belge. De là nous avons fait plusieurs jours de marche tout en longeant la frontière. Malgré tous nos déplacements nous avons toujours été bien ravitaillés.

Le 22 août dans la soirée nous rentrons en Belgique. Nous soupons tranquillement mais on nous averti que dans la nuit nous partons. A neuf heures, au moment où nous espérions nous reposer, on nous rassemble et nous nous mettons en route. A minuit nous arrivons au cantonnement. Comme il y a très peu de place, en compagnie de deux camarades, je me décide à coucher dehors dans un tas de paille. Mais en place de ressorts ce sont des cailloux. Le 1er Bataillon était aux avant-postes et par mégarde dans la nuit un éclaireur monté fut tué par une section commandée par un sous-lieutenant. La même nuit le 15ème Dragons en garnison à Libourne est passé dans le pays où nous étions cantonnés. Nous apprenons par eux que le même jour 22 août le 49ème D'Infanterie en garnison à Bayonne s'était battu et avait été repoussé avec pertes. Malgré cette fâcheuse nouvelle aucun de nous perdait courage et notre grand désir était celui de voir l'ennemi. Chose qui ne tarda pas à arriver. Le 22 août fut un jour où nous avons commencé à réfléchir car depuis notre départ la plupart de nous étaient sans nouvelles de leur famille. Que se passait-il ? On ignorait tout. Malgré cela chacun de nous conservait une gaieté dans laquelle on avait peine à percevoir l'ennui qui régnait dans les cœurs.

Pas besoin de vous dire que ce sont des jours inoubliables où l'on apprend à aimer et chérir ceux qui nous ont aimé et chéri jusqu'à l'âge de vingt ans, Nos parents. Et qui au jour où se passe ces choses ne demandent qu'une joie, celle de revoir leurs enfants bien aimés.

Le 23 août 1914 départ de notre cantonnement à 5 heures du matin. Des patrouilles sont détachées en avant car l'ennemi est signalé dans les environs. Après avoir fait quelques kilomètres nous arrivons à un bois où nous nous installons et où nous sommes à couvert des vues de l'ennemi. A cinq cents mètres de là une grande ferme où est notre commandant. J'y ai vu moi-même quatre-vingt pièces de bêtes à cornes de tout âge, une vingtaine de juments poulinières et un étalon énorme. Tout cela pour moi était curieux. Vers dix heures on nous rassemble et on nous emmène chercher des cartouches sur une route qui se trouve environ à trois cents mètres d'où nous sommes placés. Là défilent des Belges, hommes, femmes et enfants de tout âge emportant chacun à peine de quoi se changer et qui pleurent, nous annonçant l'arrivée des Allemands chez eux. Aussi chacun de nous se dit " C'est aujourd'hui ".

Et en effet vers midi on met sac au dos et nous nous mettons en marche à travers les champs de betteraves et de lins. Le canon se fait entendre. Aussi on se dit " drôle de musique ". Arrivent les obus ennemis que l'on voit éclater tout près de nous et qui pendant un instant causent une drôle d'impression. On continue, personne n'est touché. Le rire revient. Vers 2 heures on rencontre trois éclaireurs. Ce sont des hussards dont deux sont morts et un est blessé.

A quatre heures le Bataillon est rassemblé sur le bord de la Sambre, petite rivière où coule une eau bien claire et où l'on a pu apaiser notre soif car il fait très chaud et on est enfiévré à la pensée de ce qui va se passer. Vers cinq heures on reprend la marche d'approche. Les mitrailleuses se font entendre. Le canon redouble d'énergie. On charge à la baïonnette car les Allemands sont là. Notre Capitaine Constans est en tête, le sabre au clair, la pipe à la bouche, habillé comme pour la parade. Aussi c'est lui qui tombe le premier frappé de trois balles. Et avec lui plusieurs camarades tombent.

Aussi on se tient sur l'emplacement un moment. Puis arrive la nuit. Les Allemands chargent sur nous en nombre beaucoup supérieur. Ils ont de petits drapeaux blancs et nous crient de ne pas tirer, qu'ils sont Anglais. Ils sont à peine à cinquante mètres de nous. On voit très bien leurs casques à pointe, mais c'est trop tard. Plus vite fait que de le dire ils ont fait feu sur nous et comme trois compagnies 5 - 6 - 7 sont déployées en tirailleurs et debout, une quantité tombent morts et blessés.

Sur cela plus rien à faire, on tire. Mais au bout de quelques instants il faut partir. Nous aurions été pris mais une mitrailleuse sous le commandement du Lieutenant Joubé, par son tir rapide et précis, réussit à arrêter un moment la marche de l'ennemi. Ce qui a permis aux valides de partir et d'emporter quelques blessés. Enfin nous reprenons le chemin de l'arrière en pleine débandade car le rassemblement se faisait à quelques kilomètres.

Je suis avec le Sergent Cavaignac qui au cours de cette campagne est arrivé au grade de Capitaine et fut tué en 1916 à Verdun. Il y a beaucoup de blessés. La voiture d'ambulance est pleine. Les moins blessés marchent et sont aidés par leurs camarades. Parmi eux se trouve notre Sergent Major Terradot blessé à la poitrine, et qui fut tué comme Lieutenant en 1915 dans l'Aisne. Vers dix heures les survivants du bataillon sont au point de rassemblement. Le drapeau que l'on croyait aux mains de l'ennemi était là.

La retraite, combat de Guise

On se met en route. A 2 heures du matin (24 août) on arrive dans un grand pays où l'on cantonne à l'hôtel de ville. On est fatigués, on a faim, on est trempés de sueur. On songe aux camarades absents. Tout cela est loin d'être gai. On se couche sur le plancher. Cela ne fait rien, on se repose. Le matin (25 août) à la pointe du jour on repart direction inconnue. Dans la soirée on prévoit une autre attaque mais il n'en est rien. Le soir nous cantonnons. A 11 heures (26 août) alerte et l'on part. On marche tout le jour. Par bonheur nous avions pu avoir du pain. Le 27 on continue. On est de retour en France.

Le 28 la journée se fait belle. Aussi il fait à peine jour que le régiment est rassemblé et se met en route. Vers 2 heures de l'après-midi l'ennemi est signalé à environ dix kilomètres. Aussi aussitôt on prend des dispositifs d'attaque. La marche d'approche commence. On est content car on a pu manger avant et tout en marchant on fume un cigare belge que l'Adjudant George s'est fait le plaisir de nous offrir. A ce moment le bataillon est commandé par un capitaine car le 23 le commandant Lagire fut blessé et les capitaines des 5-6-7èmes compagnies tués. Avec nous se trouve le 24ème D'Artillerie. Vers cinq heures on prend contact avec l'ennemi qui se replie mais nous inflige des pertes. Le capitaine qui commande le bataillon est tué. C'est le Lieutenant Courreau (Couraud) qui prend le commandement. Aussi il nous met en réserve et par bonheur nous avons eu peu de pertes. Enfin le soir on s'empare de Guise où à la tombée de la nuit le premier bataillon s'installe et y reste pour permettre le repli car malgré que l'on ait repoussé l'ennemi, la retraite continue. La journée fut déplorable pour nous malgré tous nos efforts. Le 23 août le régiment se battait entre Thuin et Lobbes mais c'était la bataille de Charleroi. Le 28 août à Guise fut appelé simplement combat.

Pour vous dire l'impression que j'avais de ces deux jours 23 et 28, elle était tout à fait mauvaise, car c'était une fatigue écrasante. On mangeait en marchant, on buvait de l'eau. Aussi on faisait un peu les pillards. Beaucoup de maisons sur notre route étaient abandonnées, aussi on s'emparait de ce qui pouvait se boire et se manger. Chose pénible à voir c'est qu'avec nous beaucoup d'émigrés, pauvres gens ne savant où aller. Les routes étaient encombrées si bien que la plupart du temps, nous, pauvres fantassins, il fallait passer dans les champs. Aussi la marche devenait-elle pénible.

Le 30 août nous sommes dans l'Oise aux abords d'un petit pays où nous attend l'ennemi. Le 31 au matin on avance. Vers dix heures le 123ème croise devant nous. Aussi comme par hasard j'ai pu voir Ferdinand (Fernand) Jadeau, qui lui aussi est malheureusement tombé au cour de cette campagne. Vers midi le combat commence mais en peu de temps on reçoit l'ordre de retraite. Qui s'est continuée. Ce jour là Raymond Allaire fut évacué à Paris où il est mort peu après et enterré chez lui à Cravans.

Le 1er septembre il y eut pour la première fois grande distribution de lettres. Aussi j'en ai eu une m'annonçant le départ de mes frères et beaux-frères, et la bonne santé de tous. Mais cette lettre est datée des premiers jours d'Août. Malgré tout elle m'a fait plaisir. Pour ne pas changer, malgré la fatigue, nous continuons. On marche jour et nuit.

Le 2 septembre je rencontre Louis Godard< et Adrien Maître qui eux étaient au 58ème D'Artillerie. On a pu causer un moment ensemble. On se raconte nos peines aussi cela met un peu de gaieté à la tristesse. Le 3 départ à 5 heures. Les Hulans sont près de nous mais on réussit à s'échapper. A midi retraite précipitée. Nous sommes sur la grande route qui conduit à Montmirail mais elle nous est coupée. Le régiment se divise en deux. On verra plus tard qu'il s'est rencontré trois jours après.

Le 3 septembre règne une vraie débâcle. On voit des hommes de toutes armes mélangés se dirigeant du côté où le hasard les pousse. Tous sont à peu près sans pain et sans viande. Là nous sommes sous les ordres d'un lieutenant qui fut tué à Corbény vers le 10 septembre 1914. Le 3 vers midi nous arrivons dans un petit pays abandonné où est le 24ème d'Artillerie. On trouve des poules et du vin que l'on emporte. On continue notre route. Le soir nous arrivons dans un petit pays où il y a peu de monde. En cours de route on nous acheté des poules aussi à l'arrivée on les fait cuire. On n'a pas de pain ni de sel mais on les mange à belle dents et on a du vin pour arroser. On se couche un moment. A la pointe du jour on repart (le 4). Nous sommes sous les ordres du Commandant Picot qui à ce moment commandait le 1er Bataillon. La journée est très chaude. On marche avec beaucoup de fatigue. A midi on nous donne un pain de 2 ?500 à 20. C'est peu de chose et on continue.

Vers trois heures (le 4 septembre) grande halte. On se met à cuisiner aussitôt car on a tous du café et du lard touchés la veille et à côté de nous il y a un champ de pommes de terre. Tout va bien, on se réjouit car on va manger. Tout allait être prêt quant tout à coup alerte. On renverse tout, on met sac au dos et l'on part en vitesse car l'ennemi est proche et même plusieurs qui n'avaient pu suivre la colonne furent faits prisonniers.

Nous sommes à Monceau-les-Provins et sortons de ce pays en vitesse et en colonne par quatre. Comme notre présence était sensée être ignorée quatre coups de canons furent tirés tout prêt de nous mais n'atteignirent personne. Un peu plus loin nous rencontrons des troupes postées en attente aussi encore une fois on se réjouit. Cependant on n'est qu'à une cinquantaine de kilomètres de Paris. Enfin on trouve du 123ème et du 6ème. On reste avec eux jusqu'à la nuit et de là on va cantonner.

Le 5 septembre le temps se fait très beau. A 5 heures du matin tout le monde est prêt à partir. Vers dix heures le régiment se rassemble. L'ordre y est mis et la consigne est sévère. Plutôt se faire tuer sur place que reculer. Enfin les camarades ont du pain. On mange et on se repose. Le soir on avance et toute la Division est placée en avant poste. Vers minuit on revient un peu en arrière. Là nous touchons des vivres.

L'offensive de la Marne

Le 6 septembre la journée paraît de bonne heure se faire chaude. Le canon se fait entendre. De bonne heure nous nous disposons à la marche en avant mais nous sommes en réserve. Vers deux heures de l'après-midi on part car le recul ennemi est commencé.

Le canon et la fusillade font rage mais nous avançons. La marche se continue pendant plusieurs jours. Il pleut. Nous avons du pain rien d'autre, aussi on mange des pommes et des poires car sur notre passage ce n'est pas ce qui manque. Le 10 nous approchons de l'ennemi. Il pleut à torrent. On n'a plus de pain, rien que du café. Il est deux heures du matin quand nous faisons halte. La pluie persiste à tomber. Par hasard dans le pays où nous sommes il y a un boulanger. Nous avons pu toucher chacun trois bouchées de pain. Ne croyez pas que j'exagère c'est la vérité.

Comme l'eau a traversé nos effets nous allumons de grands feux pour nous sécher et on fait cuire des pommes de terre. Nous sommes le 11 septembre vers 6 heures. Il fait beau. On est prêt à partir. On nous donne de la viande mais pas le temps de la faire frire. Rassemblement et on part en vitesse. Nous sommes compagnie d'avant garde alors on voit des patrouilles partir de tous les côtés. Rien d'anormal, on continue. Vers huit heures nous sommes rejoints par les dragons. Alors on reprend la route. Vers neuf heures nous arrivons dans un petit pays où est un bataillon du 123ème. Ils en avaient chassé les boches dans la nuit aussi il y avait du pain et des conserves en quantité et on nous en a donné tant que nous avons voulu. On est content et on mange à belles dents le pain K.K. La marche continue. Nous trouvons quelques civils qui nous apprennent la présence de l'ennemi à peu de distance mais qui bat en retraite.

Nous arrivons enfin à Pontavert dans l'Aisne. Là nous faisons des prisonniers. On fait halte devant chez un marchand de vin qui pour retarder notre marche nous a donné à boire. C'est un espion. Il fut fusillé 2 jours après. Il a été pris téléphonant aux boches. De Pontavert nous continuons (le 13). Le 24ème d'Artillerie est avec nous. Nous arrivons dans la plaine devant Corbeny qui le soir même fut prise sans perte par le 57ème à neuf heures.

Pendant notre marche en avant, je me souviens avoir passé à Château-Thierry où a eu lieu un combat dans les rues même où étaient le 123ème et le 6ème. Là les boches avaient agi par la ruse. Dans la rue principale où ils étaient massés, ils avaient caché derrière eux des mitrailleuses, et disant qu'ils se rendaient, les nôtres s'approchaient. Arrivés tout près d'eux les bandits ouvrirent les rangs et firent feu presque à bout portant.

Notre arrivée à Corbeny fut très bien accueillie par les civils dont la plupart étaient content d'être libérés. Vers minuit les avant-postes furent pris par la 5ème et 6ème Compagnies. Alors la 7ème nous avons cantonné très tranquille, après avoir mangé. La nuit paraît calme. Quelques coups de canons et de fusils, et c'est tout.

Combats au nord de Reims, fixation du front

Le 14 septembre, il fait à peine jour que nous partons. Il y a attaque de la part des boches. On essaie de résister mais notre artillerie tire trop court, aussi nous sommes forcés de reculer. Il y a beaucoup de tués et de blessés. Les boches nous reprennent Corbeny. Nos brancardiers et infirmiers sont faits prisonniers. Notre major, le Commandant Soriet, est du nombre. Il fut rapatrié peu après. Enfin le 14 au soir nous nous installons devant la Ville-aux-Bois. Nous sommes tranquilles. Dans la nuit nous recevons des munitions pas sans besoins car nous avions presque tout tiré avant de quitter Corbeny. On nous donne aussi du pain que nous n'avions pas touché depuis quatre jours. Nous avions eu du pain K.K. mais une fois notre faim rassasiée, on ne pouvait plus le manger.

Le 15 septembre à la pointe du jour, nous sommes aperçus par l'ennemi qui pointe son artillerie sur nous. Aussi on quitte la position en vitesse et nous attrapons les bois où règne un peu de débandade. Aussi le bataillon va se refermer un peu à l'arrière quand ordre nous est donné par un capitaine du 24ème d'artillerie de remonter à l'attaque. Nous retournons aussitôt à la lisière des bois où nous tombons dans une embuscade. Au moment où nous allions charger à la baïonnette, l'Adjudant Georges que nous avions comme chef de section fut tué avec le Capitaine Adjudant major Triat (Triaud) qui le jour même avait été nommé commandant et commandait depuis quelques jours le 2ème Bataillon. Ils sont tombés tous les deux à mes pieds. Aussi on peut deviner quelle impression.

Nous revenons un peu à l'arrière où nous faisons une tranchée. Les boches ont voulu continuer leur avance. Ils n'ont pas réussi et ont eu des pertes considérables. On les a vu s'avancer en colonne par quatre et fauchés par nos mitrailleuses et nos 75. Le soir nous revenons à Pontavert.

Le 16 nous revenons à l'attaque mais on ne réussit pas. Malgré cela nous sommes maîtres du pays. On fait en hâte des tranchées. On se bat jour et nuit pendant plusieurs jours. La Ville-aux-Bois est prise, perdue et reprise trois jours. Tout de rang on se bat à la baïonnette. Nous y perdons presque tous nos officiers et une grande partie des hommes. Nous restons peu nombreux mais il faut tenir coûte que coûte en attendant la venue du renfort. Le canon fait rage sur Pontavert et principalement sur le pont de l'Aisne, interdisant ainsi le passage des renforts qui malgré tout sont arrivés le 20 (18) dans la nuit.

C'est le 3ème Corps. Nous partons et très contents le matin, à la pointe du jour, nous arrivons à Ecurie les Chatardes (Cuiry-lès-Chaudardes). Nous y restons un jour. Là on a pu manger car quand nous étions devant Pontavert pendant les 5 derniers jours, nous avions par jour et à trois un quart de boule de pain et une boîte de conserve autrement dit une boîte de singe.

De Cuiry-lès-Chaudardes nous sommes allés prendre pendant 24 heures les avant-postes à un moulin à droite du Château du Blanc Sablon. De là nous revenons à Cuiry-lès-Chaudardes. Le premier jour nous avons repos. Le 2ème jour nous avons revue par le Général de Brigade Pierron devant lequel nous avons défilé. Les trois ou quatre jours suivants nous sommes allés faire des tranchées. Tous les soirs nous couchons à Cuiry-lès-Chaudardes où nous sommes tranquilles. De là on monte au Château du Blanc Sablon où le patron du château fut fusillé par les Français. C'était un espion.

Nous restons pendant quelques jours en avant du château. Le jour nous sommes dans les bois, la nuit nous allons soit travailler ou renforcer la première ligne. J'ai vaguement des nouvelles de ma famille car les correspondances ne vont pas vite et on a même pas de papier pour écrire, aussi les jours sont longs. Comme nourriture nous sommes pas mal et nous avons tout le temps possible pour nous préparer ce que nous touchons. Enfin vers le 10 octobre nous sommes relevés. On revient à Cuiry-les-Chaudardes. Là c'est la bombe, on tue les petits cochons. Notre capitaine trouve rien de trop beau pour nous donner. Il reconnaît que nous avons fait notre possible et cherche à nous récompenser. Il s'appelle Courreau (Couraud).

Dans la nuit du 11 octobre nous remontons. Le 12 à la pointe du jour nous attaquons le moulin de Vauclerc. Le 1er Bataillon est en tête. Vers 6 heures il bat en retraite et a subi d'énormes pertes. Le 2ème Bataillon continue l'attaque 7ème compagnie en tête. On essaie de sortir des tranchées mais malheureusement ceux qui sont sortis la plupart ne sont pas revenus. Ce jour là Seguin Abel de la Tournerie de Gémozac fut tué à deux mètres de moi. Enfin arrive le soir et comme on ne peut rien faire, on se replie un peu. Le 13 tout le jour nous sommes dans une tranchée où à chaque instant il y a des morts et des blessés, aussi on trouve le temps long. Dans la soirée on nous apporte à manger aussi on ne s'attend qu'à une chose : remonter à l'attaque.

Enfin arrive le 14. Le matin le temps est brumeux. Vers huit heures nous recevons l'ordre de partir à l'arrière. On est content mais on ne va pas loin . Il fait très beau. A dix heures on nous apporte à manger. Rien ne nous manque. Si on a un peu souffert, on est récompensé. On a plus d'un demi litre de vin chacun et presque autant d'eau de vie dont on a conservé une bonne partie car on s'attend à autre chose. En effet on a à peine fini de manger que l'on reçoit l'ordre de remonter les sacs et on part à l'attaque. Le premier bataillon est en tête. Nous revenons dans la tranchée où nous étions le matin mais au bout d'un instant la place n'est pas tenable. Enfin on continue l'approche par les boyaux. A la nuit on est de retour où nous étions le 12. Le génie commence à couper les fils de fer. Une reconnaissance est faite par la 5ème compagnie et d'après les renseignements impossible d'aller plus loin. Les pertes sont élevées aussi on est peu nombreux. La situation n'est pas gaie. On ne sait rien de ce qui se passe. Minuit arrive. On est couché au milieu de la plaine parmi les morts. Par comble la pluie tombe et vu la circonstance on se demande ce que l'on va devenir. J'ai encore un peu d'eau de vie, aussi je la bois en compagnie du camarade Barthélémy qui à ce moment est sergent. Il fut tué en 1915 dans l'Aisne.

Le 15 au matin. Il fait jour. Nous recevons l'ordre de revenir à l'arrière. Tout se passe pour le mieux.

Le rassemblement a lieu au château de Blanc Sablon où nous passons tout le jour. Jamais depuis longtemps un jour n'avait paru si long et si triste. Nous avons de tout pour pouvoir manger et boire, mais on ne peut oublier l'absence des camarades que l'on ne reverra jamais. Dans l'après-midi, vers une heure, il y a rassemblement au cimetière pour faire les adieux à une vingtaine de camarades qui ont été rapportés là où même ils sont morts suite de leurs blessures. Parmi eux s'en trouve un de Gémozac.

Enfin arrive le soir. On prépare nos sacs car l'on doit partir. Vers minuit l'on se met en route. Nous montons vers les lignes. On nous met dans des abris en réserve, prêts à tout événement. Arrive le 16 toujours rien. Cependant le soir vers neuf heures nous partons. Nous sommes allés cantonner à Cuiry-lès-Chaudardes. Comme il n'y a pas de place, nous couchons dans l'église et pour lumière nous avons le cierge. Il faut bien que ce soit la guerre.

Le 17 on part au petit jour. Le soir nous sommes allés cantonner à Pont-Arcy. On n'est pas bien logé mais on a de quoi manger. On passe là plusieurs jours. Le 21 je suis nommé caporal. Le soir même nous partons relever le 123ème qui est en avant de Moussy (Moussy-sur-Aisne) et qui quelques jours plus avant avait relevé les Anglais. On reste là quatre jours. On est mal mais enfin on s'en tire. Nous revenons à Vieil-Arcy pour quatre jours. Le pays est bombardé. Presque tous les jours il y a des blessés. Nous remontons en ligne. Cette fois nous sommes en réserve à Moussy même mais toutes les nuits nous allons en première ligne passer la nuit. Moussy est beaucoup bombardée. On ne peut sortir des caves. Le 30 octobre nous y prenons un espion qui a chez lui le téléphone et correspond avec les boches.

Le 2 novembre les boches attaquent, surprennent les chasseurs qui sont à notre gauche et le 249ème, ce qui leur permet d'avancer. Alors nous aussi il faut reculer. Nous avons des morts et des prisonniers. La nuit arrive. Nous sommes toujours à Moussy. La compagnie monte en ligne à l'exception de la 3ème section et dont je fais partie. Le 123ème qui est au repos est monté nous renforcer. Aussi le 3 novembre avant qu'il ne fasse jour, contre-attaque qui réussit. On rétablit la première ligne où elle était. A notre gauche se trouve toujours le 249ème et les zouaves. Le 3 vers huit heures ils n'ont plus de cartouches, alors c'est nous qui allons leur en porter. Corvée très pénible car les obus tombent sur notre passage et les balles aussi. Enfin on réussit. La journée a continué toujours très chaude. Moussy n'est plus qu'un tas de débris. Il y a des absents mais les boches ne sont pas passés. Le soir nous allons renforcer la 5ème compagnie. Dans la nuit les boches veulent attaquer mais la fusillade les arrête. La même nuit j'ai revu le fils Villaurois qui à ce moment était brancardier au 123ème. Le 4 nous revenons à Moussy et dans la nuit nous allons relever le 123ème qui est en première ligne. Jusqu'au 10 tout se passe bien. Le 9 nous recevons du renfort où je revois Tielle de Mortagne qui avait été blessé à la retraite de la Marne. Millet mon caporal du temps de paix qui à ce moment était sergent et avait été blessé à la Ville-au-Bois. Il fut tué quelques temps après. Il habitait Bordeaux. C'était un bon camarade. Nous sommes en ligne depuis six jours et toujours sans nouvelles. On est assez tranquille.

Première blessure et convalescence

Le 11 novembre le matin il y a une brume épaisse mais on voit qu'il va faire beau. Vers huit heures un agent de liaison vient nous dire que nous serrons relevés dans la nuit, aussi la gaieté revient sur les visages. Vers midi il fait très beau aussi on nettoie nos fusils car on se dit que quand nous serons au repos nous aurons d'autres occupations. Enfin vers une heure je m'apprête à casser la croûte en compagnie de deux camarades quand plusieurs balles viennent de frapper dans le parapet. Comme la tranchée est profonde, on se dit rien à craindre. La paraphe n'est pas terminée qu'une balle m'a traversé la cuisse droite. Je suis blessé et content.

On me fait un pansement et j'attend le soir pour partir. Aussitôt là je vais dans l'abri du capitaine. On cause un moment et vers neuf heures je pars accompagné par les hommes qui ont apporté la soupe. Je passe à Moussy où mon pansement est refait. J'en repars à minuit pour rejoindre Verneuil où se trouve le poste du Médecin chef, les postes de commandement du régiment et de la Brigade. Nous sommes là une vingtaine de blessé dans la nuit nous sommes pris par des voitures qui nous emportent à Longueval. Le pansement est refait et à la pointe du jour des autos nous portent à Fismes. Ca commence a y avoir du bon.

Nous sommes évacués sur Château-Thierry où on arrive le 12 dans la nuit. Beaucoup descendent là mais moi je continue. Le 13 à la pointe du jour nous arrivons à Juvisy, tout près de Paris. Là nous sommes très bien soignés. Nous y restons trente-six heures. Enfin on repart et le 15 à 9 heures du soir on nous hospitalise à Moissac dans le Tarn-et-Garonne. Je suis très bien soigné mais on avait pas de liberté. Le 15 décembre je sors de l'hôpital. Je vais passer deux jours à Montauban où j'obtient huit jours de permission. Je suis arrivé chez nous dans la nuit, faisant à mes parents une surprise agréable. J'ai passé une très bonne permission. Pendant mes huit jours, je suis allé me promener dans ma famille et chez plusieurs amies. Le 25 Décembre je pars de chez nous. Je rentre au dépôt de Libourne. Je suis affecté à la 28ème Compagnie. Je me trouve en compagnie de plusieurs anciens camarades de la 7ème Compagnie. On est assez bien nourris. Comme travail on n'a qu'à se promener, mais on couche sur la paille.

1915

Le 11 janvier, je pars avec la classe 1915 au camp de Souge où là je trouve Rondeau de Jazennes qui avait été blessé le 28 août à Guise. Richard Clodomir qui lui arrivait du 257ème. Plus tard il est allé suivre des cours à Saint-Maixent où il est sorti comme Aspirant. Parti un front au 257ème, il fut nommé sous-Lieutenant au 212ème après l'attaque de Verdun en 1916. Depuis que nous nous étions quittés le 25 avril 1915 au camp de Souge, nous nous sommes revus que le 1er novembre 1917 à Gémozac. Le temps que j'ai passé à Souge fut pour moi assez agréable. Il ne fut pas sans ennui il est vrai, mais c'était beaucoup mieux que les tranchées.

Pour Pâques 1915, je suis allé en permission de sept jours. Ce qui m'a fait tout à fait plaisir. Mon filleul Alphonse était malade et comme son père est venu le voir, cela nous a permis de nous rencontrer ensemble, car après ce jour là nous nous sommes revus que dans le mois de juillet 1917. C'est à ce moment que j'ai revu pour la première fois mon parrain que je n'avais pas vu depuis le 20 juillet 1914.

Le 23 avril 1915, nous quittons Souge. On rejoint Libourne pour former un bataillon de marche dont deux compagnies du 57 et deux du 144. Le lendemain de notre arrivée à Libourne on nous habille. Aussi comme je ne suis qu'à 80 kilomètres de Gémozac, sans permission je pars dire au revoir à mes parents. J'arrive chez Prisset (Pricet) vers minuit, ce qui les a tout à fait surpris. On cause un moment. J'arrive chez nous vers deux heures. A 6 heures je me lève, je vais chez mes soeurs et Saint Simon. Le soir à 6 heures je quitte la maison et la famille pour partir où je n'en sais rien mais je garde le vrai espoir de revenir.

Retour près du front, travaux près de Nancy

Le 26 avril 1915 nous quittons Libourne tambours et clairons en tête. Tout le monde est plus ou moins content, tout se passe pour le mieux. Moi à l'heure du départ une jeune fille très aimable s'offre d'être ma Marraine. Volontiers j'accepte car je me dis qu'elle m'écrira de temps en temps, cela me fera oublier les mauvais jours qui sont à venir. Vers 10 heures du soir nous partons de la gare. Nous sommes passés par Poitiers, Tours, Vierzon, Gray, Epinal. On est arrivé à Nancy le 28 à 9 heures du soir où nous avons débarqué et cantonné. Il fait un temps superbe et la nuit est calme. Les étoilent brillent. On entend les moteurs de quelques aéroplanes qui survolent la ville et au loin le bruit sourd de nos canons.

Le 29 départ de Nancy à 7 heures. Nous avons 12 kilomètres à faire. Il fait très chaud. On arrive à Laître-sous-Amance, petit pays qui fut occupé par les boches en 1914 et qui est à moitié démoli et brûlé. Les gens qui y habitent sont à moitié boches, aussi on y est plus ou moins bien reçus. Nous restons là jusqu'au 4 mai et quoique nous soyons qu'à 6 kilomètres des lignes, notre petit séjour y fut tranquille. Tous les jours nous avions au la visite d'avions boches et c'est tout.

Le 4 mai à 2 heures du matin nous partons. Il pleut. Nous sommes allés à Eulmont, 4 kilomètres à l'arrière, où nous avons été très bien pendant quelques jours. On a toujours été tranquille à part la visite de quelques avions. Jusqu'au 9 mai le matin nous faisions une marche de 15 kilomètres et la soirée exercice ou théorie. Le 10 mai la 35ème et 36ème Compagnies sont allées au tir à Essey-les-Nancy, à 8 kilomètres d'Eulmont. Cela fut pour nous une vrai distraction.

Arrivant on nous apprend que la 33ème et 34ème Compagnies sont parties. Le 11 mai départ d'Eulmont, on va rejoindre la 33ème et 34ème à Bouxières-aux-Chênes. Il y a encore quelques habitants mais le village est plus de moitié démoli. L'église n'existe plus. Le 12 mai le matin on installe le cantonnement et le soir à 6 heures nous partons. Nous sommes allés travailler en avant de la ferme de Quercigny, cela jusqu'au 15 mai. Chaque jour nous revenions à Bouxières où nous arrivions que le matin à la pointe du jour. Dimanche 16 mai je suis allé visiter le petit village d'Ecuelle où il n'existe plus que quelques maisons où habitent encore quelques civils. Là se trouve tout un système de tranchées très bien organisées. A gauche et en avant du village, un petit plateau d'où l'on aperçoit très bien nos lignes ainsi que les positions boches. Très joli coup d'œil.

Pour ne pas changer jusqu'au mercredi toutes les nuits nous allons travailler. Le jeudi 20 mai on a repos. Le 21 nous sommes allés travailler à la ferme de Candale, couper du bois avec le Génie. Le 22 repos. Dimanche 23 mai, jour de la Pentecôte, j'ai pu assister à la messe et aux vêpres, et le soir au travail. A partir de ce jour nous avons eu 2 jours de travail et un de repos. Le 31 mai je suis de garde au poste de police.

Le 1er et 2 juin la nuit pas de travail. Dans les tranchées en place nous avons placé des rails, chose très pénible.

Le 3 repos. Le 4 des bombes sont tombées aux abords du cantonnement mais n'ont causé aucun dégâts. Le 5 juin nous avons eu exercice et jusqu'au 8 toutes les nuits nous sommes allés travailler. Le mercredi 9 juin départ de Bouxières à 4 heures. Nous sommes retournés reprendre nos cantonnements à Eulmont. Le 10 nous avons passés des revues de toutes sortes. Le 11 et le 12 le matin marche, le soir repos. Dimanche 13 repos. Le 14 nous sommes allés au tir à Essey-les-Nancy. Nous passions par le village d'Agincourt. Le 15 et le 16 exercice. Le 17 douches à Essey-les-Nancy. Le 18 et le 19 exercice. Dimanche 20 repos, aussi on est allé se promener dans les bois.

Les 21-22-23 service en campagne dans les environs de la ferme de Grand-rang, qui en tant de paix était exploitée par un boche qui fut pris en 1914 faisant de l'espionnage.

Le 24 douches à Essey. Ce jour là il a plu. Le 25 et 26 le matin marche mais la pluie continue. Dimanche 27, à 9 heures revue et après on est libre. Le 28 le matin tir à Essey. Le 29 et 30 juin exercice.

Le 1er juillet douches. Le 2 de garde. Le 3 marche de 20 kilomètres dans les environs de Nancy. Dimanche 4 juillet le soir départ à 6 heures. Nous sommes allés travailler tout près des premières lignes où nous avions l'habitude. Nous sommes partis en automobile et retournés à pied. Le 5 juillet repos. Le 6 et 7 juillet les deux nuits même travail que le 4. Le 8 je suis de jour, nous avons repos.

Le 9 service en campagne à la ferme de Grand Rang. Le 10 départ pour les tranchées où nous sommes allés rejoindre la 18ème compagnie du 323ème d'Infanterie. Le soir même je suis allé au poste d'écoute tout près de Bioncourt sur le bord de la Seille, petite rivière qui fait la limite de la frontière. Le 11 juillet je suis de repos.

Le 12 juillet à 4 heures du matin une pièce de 80 placée dans la nuit même à la lisière de la forêt de Champenoux a tiré une vingtaine d'obus sur le moulin de Bioncourt dans l'espoir de la démolir car les boches y avaient un petit poste. La pièce fut repérée. Aussitôt un obus est tombé en plein sur l'arbre abritant la pièce, tuant un artilleur et en blessant deux. Je me trouvait à 10 mètres.

Le 13 juillet je suis tranquille. Le soir je suis allé me promener aux petits postes. A mon retour il pleut et il fait noir aussi c'est avec peine que je me sors des bois. Le 14 juillet très beau temps. On a plus de pinard que d'habitude et un cigare. C'est peu mais on est content. Le soir nous sommes allés travailler sur le bord de la Seille. Le 15 juillet nous sommes relevés, on retourne à Eulmont. Il pleut à torrent, aussi on arrive tout enfendus. Le soir il faut tout de même travailler. Le 16 on a exercice mais pour me venger je me fais porter malade. Le 17 on va aux douches et on fait des claies.

Les prédictions du Colonel Harisson (Harrison) au mois de juillet 1915 par mois et par front :

Mois de juillet

Occidental

Pas de changement. Initiative des manœuvres aux Français.

Italien

Elargissement du front, qui absorbe un grand nombre d'ennemis.

Russe

Grande offensive allemande dans la région de Varsovie. Repli des Russes en Pologne.

Oriental

Progression très lente des alliés aux Dardanelles. En Arménie, en Mésopotamie, coopération italienne.

Mois d'août

Occidental

Sans changement. Accentuation de la dépense de munitions. Renforcement des lignes anglaises.

Italien

Investissement de Trieste et de l'Istrie (Pola).

Russe

Arrêt de l'offensive allemande. Manque d'hommes. Attaques locales serbes. Organisation de l'union balkanique. Déclenchement de la Roumanie.

Oriental

Déclenchement de la Bulgarie.

Mois de septembre

Occidental

Offensive générale menée par les Allemands. Région du Nord. Dépense effroyable de munitions.

Italien, Russe

Jonction des fronts italien, serbe, roumain. Offensive générale contre l'Autriche. Marche en avant des Russes (des deux ailes).

Oriental

Effondrement de la Turquie. Chute de Constantinople. Ouverture des Dardanelles.

Mois d'octobre

Occidental

Arrêt de l'offensive allemande. Les Allemands commencent d'eux-même à rectifier leur front. Opération accélérée par l'offensive française. Leur arrêt à la fin du mois sur la ligne Ostende, Maubeuge, Ardennes, Luxembourg, Metz, Strasbourg.

Italien, Russe

Reprise de la Galicie par les Russes. Invasion de la Hongrie de trois côtés. Départ du gouvernement autrichien. Recul des Allemands en Courlande et en Prusse Orientale.

Oriental

Fin des opérations contre la Turquie. Une grande partie du corps d'expéditionnaire, devenu disponible, revient en Europe.

Mois de novembre

Occidental

Nouveau recul allemand. Le front linéaire se rompt en trois segments.

Italien, Russe

Recul des Allemands en Pologne qui découvre la Silésie. Investissement de l'Allemagne.

Mois de décembre

Occidental

Arrivée des Français au Rhin. Demande d'armistice par les Allemands.

Nous n'ajouterons pas à ces lignes impressionnantes d'autre commentaire que celui-ci : Au mois d'octobre dernier le Colonel Harisson annonça le déclenchement de l'Italie pour la seconde quinzaine de mai 1915.

Cette prédiction fut comme toutes celles qui ont été faites. Loin d'être véritable elle fut à peu près toute mensongère à l'exception de l'entrée en guerre de l'Italie. Personne n'y croyait mais personne à cette époque, c'est à dire au 14 juillet 1915, personne n'aurait cru la guerre si longue.

Dimanche 18 juillet départ d'Eulmont pour aller à Bouxières-aux-Chênes. Les 19-20-21-22 la nuit nous sommes allés travailler près de L'Anfroicourt (Lanfroicourt). Le 22 nous sommes allés à l'enterrement d'un homme de la 34ème Compagnie tué d'une balle en pleine tête à Bioncourt le 20 juillet. Le 23 repos. Le 24 travail. Dimanche 25 repos. On assiste à la messe et aux vêpres. Le 26 départ aux tranchées, même emplacement que la fois précédente. Tout c'est bien passé, nous avons été relevés le 31 juillet. Le 29 notre commandant de compagnie, le sous-lieutenant Brutail, est venu nous voir. Le 30 les Français ont bombardé Bioncourt avec des obus incendiaires. Dimanche 1er août repos. Ce jour là j'ai fait connaissance de Daguisé d'Antigny, qui à ce moment était au 24ème d'Artillerie. Le 2 échange d'effets. Le 3 de garde au poste de police. Les 4-5-6 toutes les nuits au travail. Le 7 nous quittons Bouxière pour aller à Laître-sous-Amance. Dimanche 8 repos, on est allé à la messe. Le 9 le matin exercice. La soirée à 4 heures alerte mais on ne part pas. Ce n'est qu'un exercice. Le 10 départ pour les tranchées. Cette fois je suis allé à Brun même (Brin-sur-Seille). J'y ai passé quatre jours très tranquilles. Je n'avais qu'à m'occuper de la garde et du nettoyage du poste. Brun est un petit village français situé sur le bord de la frontière. En 1914 il fut occupé par les boches qui en l'abandonnant y mirent le feu. Aussi du village il n'existe plus que des décombres. A ce moment le village était transformé en petite forteresse. Les 11-12 et 13 on est en ligne. Tout c'est bien passé. Cette fois nous étions avec le 234ème. Le 14 nous sommes relevés. Le 15 août repos. Je suis allé à la messe. La soirée je reste au cantonnement. J'ai fait la causette avec les voisines qui m'ont fait bien rire en me racontant une petite aventure qui était arrivé dans le pays même un an auparavant. Le 16 au matin corvée de bois dans la forêt de Champenoux. Le soir échange d'effets. Le 17 je suis de jour. Le 18 et le 19 nous sommes allés faire des tranchées de jour dans la forêt de Champenoux. Travail très intéressant en même temps qu'une distraction, surtout qu'il faisait beau temps.

Le 20 août je pars à Essey-les-Nancy à un peloton d'instruction fermé pour la division. On était logé dans la caserne, aussi on était à peu près bien, et en dehors de nos heures d'exercice nous pouvions aller nous promener à Essey. Aussi y a-t-on passé de bons moments. A ce peloton assistaient sergents, caporaux et élèves caporaux, commandés par un Capitaine et un Lieutenant. Là nous faisions un petit peu de tout de ce qui est compris dans la guerre actuelle concernant les fantassins. Aussi trouvais-je cela très intéressant et instructif. Nous ne procédions à nos exercices que dans deux endroits : Le Plateau de Malzéville à côté du camp d'aviation et dans le bois de Pulnoy. Aussi jusqu'au 31 août la vie fut pour nous très douce à côté de beaucoup de jours précédants.

Du 1er au 6 septembre la vie continue à être gaie malgré plusieurs exercices dangereux que nous avions fait, surtout dans les lancements de grenades. Tout s'était bien passé. Le 7 au matin nous sommes au plateau de Malzéville. Plusieurs officiers de l'Etat major, qui est à Essey, sont avec nous pour voir le lancement de crapouilleux et de grenades. Par malheur deux grenades ont éclaté dans la tranchée, tuant deux sergents du 212ème et blessant plusieurs autres gradés et hommes de différents régiments. Le Capitaine Puten, commandant à ce moment le peloton, fut grièvement blessé. Il fut regretté car il était pour nous un père de famille.

Mercredi 8 septembre, pendant que nos aviateurs dorment, les boches sont sur Nancy, survolant la ville, où ils laissèrent tomber une vingtaine de bombes qui firent peu de victimes mais des dégâts appréciables. Que nous avons pu apprécié en allant le soir même au stand de tir de Vandoeuvre faire des tirs à la mitrailleuse. Jeudi 9 dans la soirée nous sommes allés accompagner au cimetière les deux sergents du 212ème morts le 7. Tout en y allant nous avons pu voir la ville qui est très jolie. Le cimetière possède de nombreux caveaux très riches. Là repose une quantité de soldats. Ils se comptent par mil. Là plupart ont trouvé la mort en 1914 à la bataille du grand couronne de Nancy et du plateau d'Amance.

Le 10 le peloton se dissout. Nous rejoignons nos régiments. Moi et plusieurs camarades nous allons rejoindre notre compagnie qui est seule à Haraucourt depuis le 5 septembre. Nous sommes passés par Pulnoy, Cercueil (aujourd'hui Cerville), Buissoncourt. Le samedi 11 repos. Dimanche 12 repos. Je suis allé à la messe qui était chantée dans une petite chapelle qui par hasard avait échappée au bombardement, car Haraucourt fut au trois quarts démoli et brûlé en 1914. L'église qui était très jolie n'est plus qu'un amas de pierres. Aussi quoiqu'il y ait quelques habitants, c'est un petit pays triste. Le 13 nous sommes allés travailler auprès du village de Courbesseaux qui lui aussi a beaucoup de maisons démolies. L'église dont la toiture est démolie a reçue en 1914 un obus de 75 en plein sur la porte. Jusqu'au 18 tous les jours nous sommes allés travailler au même endroit. A ce moment mon frère Alphonse est aux Dardanelles et Henri dans l'Aisne. Le 17 à Courbesseaux même j'ai vu Léon Riffeau au 212ème d'Infanterie. On a pu boire un coup ensemble et parler du pays. Dimanche 19 au lieu de nous laisser reposer, on nous fait faire des claies. Le 20 nous revenons au travail habituel et jusqu'au 23 même chose. Le 24 je suis de garde au poste de police avec le sergent Durand qui fut tué au mois d'octobre 1915. Le 25 on est allé au travail. Dimanche 26 repos. Le 27 et le 28 au travail. Le 26 pour la première fois depuis notre départ de Libourne nous recevons 50 hommes de renfort au bataillon. Le 29 il pleut. Nous quittons Haraucourt à 1 heure pour aller à Ecuelle. Le 30 repos. Le 1er octobre exercice. Mois je suis de jour. Le soir la 3ème section est partie à 6 heures pour travailler toute la nuit. Le 2 la 1ère et 2ème sections sont parties à 3 heures du matin pour aller travailler en avant de la ferme Quercigny et sont rentrés le soir à 6 heures. Dimanche 3 repos. Malgré que l'église d'Ecuelle n'ait plus de toiture chaque dimanche une messe y était chantée.

Lundi 4 départ d'Ecuelle à 4 heures du matin pour nous rendre à Laître-sous-Amance où sont depuis longtemps déjà les 33, 34 et 35ème compagnies. Là on arrive, on nous apprend que nous quittons le 9ème bataillon pour aller où on n'en sait rien.

Transfert au 60ème RI, Champagne

Là des effets nous sont distribués en quantité. On part en toute hâte aux casernes d'Essey où des vivres de réserve nous sont distribuées pour plusieurs jours. Au moment où nous allions partir, le Général nous à remercié de notre petit séjour passé sous son commandement et nous a souhaité bonne chance. On se met en route pour la gare dont nous sommes partis à 10 heures le soir même. Passés par Vitry-le-François, Châlons. A 8 heures du matin nous débarquions à Saint-Hilaire-au-Temple. Nous avions comme chef de détachement le sous-Lieutenant Brutail qui lui est retourné au Bataillon du 57ème. De la nous sommes allés rejoindre le 60ème d'Infanterie dans les bois de Bouy. Il venait de faire l'attaque du 25 septembre en Champagne et avait subi de grandes pertes. On nous affecte aussitôt dans les compagnies. Moi je me trouve être à la 5ème où j'ai trouvé de bons camarades. Le soir même on se met en route. Le mercredi 7 on arrive dans un bois à quelques kilomètres de Somme-Tourbe. On couche sous les tentes. La marche fut longue et fatigante. Jeudi 7 exercice. Le 8 aussi. Le 9 on nous apprend notre départ pour l'avant. Il fait très chaud. Nous sommes passés par Suippes, en avant duquel nous avons cantonné en plein air.

Dimanche 10 (octobre) départ à 5 heures. Nous passons où s'est fait l'attaque le 25 septembre. Drôle de spectacle car dans la plaine gisent encore les morts qui sont là depuis 15 jours. Le soir, sous les obus et les balles, nous allons travailler. Aussi le trouve-t-on bien amer. Lundi 11 même travail que la veille et au même endroit. Ce jour là le bois où nous étions cantonnés fut bombardé. Un obus est tombé en plein sur les hommes du poste de police. Il y eut plusieurs blessés et 7 tués, dont deux caporaux qui venaient du 57ème et étaient avec moi à la 5ème Compagnie.

Mardi 12 nous revenons un peu à l'arrière. Nous avons pris les emplacements où étaient le régiment pour l'attaque. Depuis que nous étions là la canonnade fut toujours continue. Le jour à chaque instant on voit des combats d'avions où plusieurs des nôtres furent descendus. Le 13 corvée de lavage.

J'ai pu remarquer que dans ce pays on y trouve que très peu d'eau et 9 fois sur 10 c'est que l'eau est sale. On a surnommé ces lieux là la Champagne pouilleuse et c'est bien son nom car on y été mangés par la vermine. Le terrain y est tout à fait pauvre. On y voit beaucoup de plantations de sapins mais qui poussent très peu. Le 14 exercice tout le jour sur le bord de la Ain. Vendredi 15 au matin le régiment se rend à Jonchery où la soirée y fut passée en revue par le Général De Villarant (De Villaret), commandant à ce moment le 7ème Corps d'Armée. Le 16 douches. Le 17 repos. Ce jour là j'apprend que mon frère Henri est à Limoge. Il avait été blessé le 28 septembre. Le 18 on est allé au travail. Le 19 repos. Le 20 on se rend à Jonchery. Revue par le Général et défilé. Jeudi 21 on s'est déplacé vers l'avant.

Le 22 à 5 heures du matin nous montons en 3ème ligne. Là on se met au travail pour nous faire des abris, car nous sommes au milieu d'une plaine où il n'y a rien pour nous protéger. Ce jour là une lettre de chez nous m'apprend la mort du fils Breton de Bellair. Et de Ferdinand Conte. Le mari d'Yvonne Rabot. Le 23 et le 24 nous travaillons à nos emplacements de combat à la 3ème ligne. Le 25 transport de matériel en première ligne. Le 26 corvée de lavage à Saint-Hilaire-le-Grand. Le 27 jour et nuit transport de matériel en 2ème ligne. Le 28 repos. Le 29 on travaille tout le jour. Le 30 à 5 heures du matin, nous sommes allés relever le 1er Bataillon qui était en 2ème ligne. Dimanche 31 repos.

Lundi 1er (novembre) repos. Le 2 travail toute la nuit. Le 3 au matin nous prenons les premières lignes. Le 4 on creuse nos abris. Le 5 malgré le bombardement on travaille en première ligne. Le 6 travail de nuit. Dimanche 7 à 7 heures du matin nous prenons la place de la 3ème section pour prendre la garde. A l'heure de la soupe, bombardement par les boches où deux hommes furent tués : Riand (Laurent Ryon) et Limoges. Le 8 journée calme. Le 9 également, ainsi que le 10, mais ce jour là il pleut. Le 11 au matin nous avons été relevés par le 1er bataillon.

De là nous sommes allés prendre repos auprès de la Ains. Le 12 revue d'arme par le chef armurier. Il pleut et il neige. Dans la nuit, par comble de bonheur, l'abri où nous étions s'est écroulé. Il n'y a pas eu d'accident. On a allumé du feu et on a joué aux cartes en attendant qu'il fasse jour. Croyez bien que tout cela n'était pas amusant.

Le 13 et le 14 il pleut et il neige aussi il fait froid et la vie n'est pas gaie. Le 15 je suis de jour. La nuit nous sommes allés travailler et pourtant il tombe sans cesse de la neige. Le 16 il fait beau mais il y a une forte gelée. Le 17 repos tout le jour. La nuit nous sommes allés travailler en 2ème ligne pour faire un fortin. Le 18 repos. Le 19 départ 4 heures du matin. Nous sommes allés en 2ème ligne à côté des batteries de 75. Il fait très froid mais nous avons de bon abris et on peut faire du feu, et comme nous ne recevons aucun obus, la vie est assez tranquille, à part les moments où il faut aller en corvée ou travailler. Le 20 réveil à 2 heures du matin. On est allé au travail, retour 6 heures. Le dimanche 21 tout le jour en corvée en 1ère ligne. Le 22 repos. Le 23 il fait très beau, on ramasse du bois. Le 24 nous apprenons que nous devons être relevés dans la nuit et cette fois c'est pour un long repos, aussi tout le monde est content.

Le 25 à 1 heure du matin, le bataillon quitte les tranchées de 2ème ligne. Il y a déjà une forte gelée mais comme on a beaucoup de kilomètres à faire, on est content. Il fait à peine jour que nous sommes à Suippes. De là nous sommes allés cantonner à Saint-Etienne-au-Temple et quoique fatigués, en arrivant il y a eu prise d'armes et décorations distribuées par le Général de Division Crêpé (Crépey). Ce soir là je suis allé souper avec le sergent Rondeau de Jazennes qui était à la 8ème compagnie. Le 26 novembre départ 5 heures. Passés par Châlons. On est allé cantonner à Cernon, où nous sommes restés plusieurs jours. Cernon est un petit pays dont les trois quart et demi des maisons sont bâties en bois et en terre. Il compte environ trois cents habitants dont on a eu rien à se plaindre. Notre petit séjour n'y fut pas très gai car il faisait très froid. Aussi la nuit, vu le grand froid, on ne pouvait pas dormir. Le 27 installation du cantonnement et corvée de lavage. Dimanche 28 je suis allé à la messe. Le soir nous avons eu revue du cantonnement par le Colonel Gers qui commandait à ce moment la Brigade depuis le 25 septembre. Le 29 exercice du régiment : départ 8 heures du matin, rentrée 9 heures du soir. La soirée il tombe de l'eau. Le 30 douches.

Le 1er (décembre) revue d'armes par le chef armurier. Le 2 prise d'arme pour le régiment et remise de décorations. La soirée exercice. Le 3 il pleut. Théorie au cantonnement. Le 4 je suis de garde. Le dimanche 5 je suis de jour. Le 6 matin exercice, le soir service en campagne. Mardi 7 départ 7 heures : manouvres de Division. Le régiment est allé prendre position à Ecury-sur-Coole, sur le bord de la voie ferrée. A 9 heures on mange la soupe. A 10h30 la manouvre commence pour finir à 3h30. Il a fallu faire des kilomètres et on a traversé des bois pendant 5 heures. Quand tout fut terminé, nous étions aux abords de Mairy. La journée fut belle mais on est rentré le soir à 7 heures avec la pluie. Le 8 repos mais sur le front de Champagne, le canon fait rage. Le soir alerte. On s'attend à aller faire une attaque car les boches avaient avancés à l'endroit même d'où nous venions. Enfin tout se passe pour le mieux et nous sommes restés au cantonnement, mais prêts à partir à chaque instant. Le 9 au matin départ de Cernon. Passés par Coupetz, Fontaine-sur-Coole. On a cantonné à Coole même. On a fait 12 kilomètres avec la pluie. Vendredi 10 départ 6 heures. Marche de 26 kilomètres : passés par Maisons, Vitry-le-François, Vauclerc. Là nous nous trouvions où a commencé la bataille de la Marne en 1914. La route fut limite, aussi on voit de nombreuses tombes de Français. Il pleut, et comme par bonheur on a rien à manger. Malgré cela on chante pour entraîner les boiteux. On arrive à Favriesse (Favresse) vers 4 heures du soir, où on a cantonné. Favriesse avant la guerre était un joli petit pays où il y avait de grandes fermes. Malgré cela, il était plus industriel qu'autre chose car dans ses environs on y voit de nombreuses usines. Il fut brûlé et démoli en 1914. A l'époque où j'y suis passé la plupart des habitants qui y étaient logeaient dans des maisons en planches. On y a vu de nombreuses tombes de Français. Samedi 11 il pleut. Départ 7 heures. On est passé par Haussignémont où la campagne est très jolie, bien cultivée et paraît fertile. Scrup (Scrupt). Saint-Vrain. Vouillers. Après 15 kilomètres de marche, on arrive à Villiers (Villiers-en-Lieu), un lieu où tout le régiment a cantonné. C'est un beau pays où on s'est bien amusé le soir au café.

Dimanche 12 (décembre) marche de 28 kilomètres malgré la neige qui tombe en abondance. On est passé par Saint-Dizier que nous avons traversé au pas cadencé, au son de la musique. Dans le même pays, j'ai perdu la semelle d'un de mes souliers. J'aurais bien donné le métier de militaire pour deux sous, je vous l'assure.

Après : Ancerville, la Houpette. Là nous nous trouvions sur la grande route de Paris à Strasbourg. De là par Rupt-aux-Nonains, et Bazincourt où l'on est resté quelques jours. Bazincourt est dans la Meuse. C'est un petit pays qui n'a rien de beau. Il se trouve placé dans un creux ou coule une petite rivière, la Saulx. Il compte environ 5 à 600 habitants dont la plupart aujourd'hui sont des émigrés, mais qui, pendant notre séjour, nous ont traités comme de vrais amis. Le 13 le beau temps est revenu. On installe le cantonnement. Le 14, la soirée, revue par le Commandant. Le 15 douches le matin, le soir exercice. Le 16 matin exercice, le soir service en campagne. Le 17 exercice de bataillon, installation de grand-garde. Le 18 le matin théorie, la soirée nettoyage. Dimanche 19 repos. Je suis allé à la messe. Le 21 matin exercice, la soirée service en campagne. Le 22 il neige. La soirée, théorie pour les sous-officiers et les caporaux. Douches. Le 23 il pleut.

Le 24 je suis de garde au poste de police. Dans la nuit, à l'occasion de la messe de minuit, on a le vin chaud à pleins seaux. Le 25, jour de Noël, on est allé à la messe et aux vêpres.

Dimanche 26 revue de vivres et de réserves. Le 27 matin exercice, la soirée service en campagne. Le 28 service en campagne pour le bataillon. Le 29 aussi. Le 30 vaccination. Le 31 alerte pour tout le régiment, exercice d'embarquement.

1916

Le 1er et le 2 (janvier 1916) repos mais aussi on a fait la noce. Le 3 départ en permission de 7 jours. Je n'étais pas allé chez nous depuis le 26 avril 1915. J'ai pris le train à 13 heures à Savonnières. Je suis passé par Paris, où je suis arrivé à 1 heure et reparti à 8 heures de Montparnasse, pour arriver à 7 heures le soir à Gémozac. Ma permission s'est plus ou moins bien passée. Le 11 je suis allé me promener à Libourne où j'ai été très bien reçu. Le 14 au matin, j'ai repris le train en compagnie d'un camarade de Mortagne. Nous avons fait un bon voyage. A Paris, nous sommes allés nous promener, car nous y étions arrivés à 9 heures le soir. Le 15 je quitte Paris à 1 heure de l'après-midi, et je suis allé coucher à Vitry-le-François, et en suis reparti le 16 à 8 heures. A 10 je descendais du train. Je partais pour Bazincourt d'où j'étais parti, quand à Aulnois j'apprends que la division était partie. Alors je me suis mis en route avec les téléphonistes de la division. J'ai fait plus de 25 kilomètres sans pouvoir retrouver le bataillon, alors j'ai couché à Bienville dans un poste avec des garde-voies. Le 17 départ 6 heures. Il fait froid, mais il fait beau. Il me faut rejoindre ce jour-là à tout prix. Je suis passé par Prez, Troisfontaines où là des bons gens m'ont payé un bon café et donné un litre de vin. Ensuite j'ai rattrapé le Bataillon à Voillecomte où nous avons cantonné.

Mardi 18 départ 7 heures : passé par Montier-en-Dizier et plusieurs autres petits pays. On a cantonné à Joncreuil. Le 19 départ 7 heures : passés par Chassericourt, Margerie, Chapelaine, Brienne où l'on a cantonné. Le 20 il pleut. Départ 7 heures : passés par Saint-Ouen, Lhuître, Grandville, Dosnon, Trouans-le petit. A trois heures de l'après-midi, on est arrivé au camp de Mailly, où l'on a cantonné dans les casernes et autres baraquements. On était couché sur des paillasses et on avait des couvertures à volonté, non sans besoin car il faisait froid. Pendant cette marche de quatre jours, nous sommes passés par plusieurs départements. Parti de Bazincourt Meuse, passé dans la Haute-Marne, l'Aube, la Marne et retourné dans l'Aube. Le camp de Mailly n'a rien de bien beau. C'est une plaine immense plantée ça et là de bois de sapins. Je garderai toujours un souvenir de ce pays car c'est là que j'ai eu ma première punition depuis que j'étais au régiment, dont 12 jours de prison.

Le 21 repos. Le 22 la soirée exercice de bataillon. Dimanche 23 il fait très beau. La soirée, exercice de régiment. Nous sommes rentrés quand il faisait déjà noir et on a défilé avec la musique.

Le 24 de garde au poste de police. Mardi 25 dans la soirée, rassemblement de la division, qui à trois heures fut passée en revue par plusieurs généraux, dont celui d'Armée et de corps d'Armée, sur le terrain de manoeuvre. Le 26, repos douches. Le 27 la soirée, manoeuvre de bataillon. Le 28 beau temps, manoeuvre de division qui fut terminée de bonne heure. Le 29 au matin exercice de bataillon, le soir repos. Dimanche 30 exercice de nuit : départ trois heures, rentrée 10 heures. Je suis de jour. Le 31 la soirée, exercice.

Le 1er on se prépare pour quitter Mailly. Le 2 départ à 9 heures : passé par Trouans-le-petit, Dosnon, Arcis-sur-Aube où nous avons embarqué et d'où nous sommes partis le soir à 5 heures. Le 3 à 1 heure du matin nous étions à Mussey où nous avons débarqués. Nous sommes allés cantonner à 9 kilomètres de ce dernier, à Beurey. Le 4 revue et il pleut. Le 5 la pluie continue et on est allé à l'exercice. Dimanche 6 repos. Je suis allé à la messe. Lundi 7 exercice à Trémont où il y avait du 47ème d'artillerie. La soirée tir. Mardi 8 douche à Robert Espagne, où est cantonné le 3ème bataillon. Le 9 il fait très froid et il neige. Nous sommes allés au tir. Le 10 vaccination, aussi je suis bien malade.

Le 11 (février) il gèle et il neige, le soir alerte. Ce jour là les officiers étaient partis pour aller reconnaître un secteur, lequel nous devions occuper peu de jours après. Mais en cours de route, on leur a fait faire demi-tour. Aussi à partir de ce jour on prévoit que quelque chose nous attend. Car depuis longtemps déjà on parlait très souvent de Verdun, et comme nous étions au repos dans la Meuse, on se disait qu'il devait y en avoir une petite part pour nous.

Le 12 départ de Beurey à 9 heures, et malgré que la plupart sont encore malades vu que nous avions été vaccinés le 10, tout le monde doit porter son sac et faire 15 kilomètres. On est passé par Trémont, Combles, Bar-le-Duc, Behonne où nous avons cantonné. Le 13, un dimanche, départ 7 heures : passé par Vavincourt, Petit-Rumon, Erize-la-Brûlée, Rosne, Erize-la-Grande, où nous avons cantonné.

Le 14 repos, il pleut. Ce jour là une quantité de gens sont passés, venant des villages environnant Verdun. On pouvait se représenter un petit peu la retraite de Charleroi. Ces gens s'en allant sans savoir où et emportant avec eux à peine leur nécessaire, ayant tout abandonné dans leur départ précipité. Tout cela nous laissaient dans l'incertitude. Le 15 il fait un temps superbe, départ 9 heures. On a fait 10 kilomètres pour aller cantonner à Deuxnouds. Le 16 février alerte à minuit. On nous donne des cartouches et à 2 heures nous partons. On a fait 4 kilomètres pour rejoindre la grande route qui mène à Clermont. Là, à la point du jour, nous avons été pris par les automobiles qui nous ont conduit à 3 kilomètres au delà de Verdun, tout en passant par ce dernier. De là, on est allé au fort de Tavannes, qui ne se trouvait qu'à quelques kilomètres. Nous en sommes repartis le jour même vers 11 heures pour retourner à Verdun, aux casernes de Jardin-Fontaine. Le jour on a eu repos, le soir on a pu sortir un moment en ville. Le 18 repos. Revue par le Colonel. On n'a pas pu sortir de la caserne, on reste toujours consigné. Le 19 départ 8 heures. Nous sommes allés aux casernes Chevert, qui ne se trouvaient qu'à quelques kilomètres de là. Ce jour là il pleut. Dimanche 20 il fait très beau, on a repos. Tout le jour le canon s'est fait entendre plus fort que de coutume.

Déclenchement de la bataille de Verdun

Lundi 21 réveil 2 heures. Nous sommes allés à 2 kilomètres prendre le train, car nous devions aller travailler tout le jour à quelque (distance) des premières lignes. Quand on est dans le train, la plupart sont contents et chantent. Pourtant il fait froid et on doit passer la journée presque sans manger, car personne n'avait été averti de ce départ. A 7 heures on est arrivé. Il a gelé fort et il fait froid. On doit passer dans des boyaux où nous avons de l'eau et de la glace jusqu'aux genoux. On y a à peine fait cent mètres qu'un violent bombardement de la part des boches se déclenche, aussi en un instant les obus tombent tout près de nous. On ne bouge pas, on attend qu'ils nous tombent dessus.

Chose qui est arrivée peu après. Il y a à peine 10 minutes que nous sommes là qu'un obus de gros calibre tombe en plein dans le boyau où nous sommes, où 18 sont touchés dont 12 morts. Malgré les obus qui ne cessent de tomber, on réussit à partir à l'arrière en passant par les tranchées pleines d'eau et de glaces. Il fait froid. Aussi après avoir fait quelques kilomètres, on s'arrête et on fait du feu pour se réchauffer tout en attendant les ordres, car le colonel, parti lui aussi le matin en reconnaissance, n'est venu nous rejoindre que tard dans la soirée. Enfin vers 8 heures on retourne à Chevert où là on a pu se changer et souper.

Le 22 départ à 3 heures. Nous sommes allés prendre nos emplacements d'alerte à la droite de Bras où nous avons passé tout le jour. Le bombardement est continu. Verdun reçoit des obus, ainsi que les villages environnants. L'accès des routes et voies ferrées allant de Verdun vers les premières lignes est devenu impossible, vu la violence du bombardement. Les boches attaquent et avancent, anéantissant la plupart des régiments qui sont en première lignes, et nous faisant une quantité de prisonniers. Le soir la situation est devenue alarmante. La première ligne est brisée. L'artillerie ne tire plus car la plupart des pièces sont démolies ou ensevelies et le ravitaillement est devenu impossible. A 9 heures nous recevons l'ordre de monter. Sur notre route on rencontre le 363ème où règne une vraie débandade. Les artilleurs font tous demi-tour. On rencontre aussi quelques chasseurs blessés qui ont pu échapper aux boches et qui nous disent qu'il ne reste rien des premières lignes, et que bientôt nous allons rencontrer les boches, car à ce moment là nous étions sur la grande route qui mène à Beaumont en passant au bois des Caures, dont nous étions qu'à 500 mètres à peine.

Le bombardement est terrible. La route n'est pas praticable et est jonchée de cadavres, chevaux morts, blessés. On voit de tout, les charrettes brisées. C'est une chose qui fait peine à voir. Et à 11 heures on a atteint la lisière du bois des Caures. A la place des Français on y a trouvé les boches.

Le 23 à 1 heure du matin, on va à la soupe. Aussi tant bien que mal on mange un peu. Comme j'ai moi-même accompagné la corvée malgré que les obus tombent, j'ai mangé d'un bon appétit et bu un bon coup de pinard en attendant d'autres évènements. A 7 heures, nous montons au bois des Caures, à l'emplacement de la huitième compagnie, qui elle avance dans les bois et doit attaquer à midi. Il fait très froid, la neige tombe. Le bombardement est toujours très intense, aussi toute communication avec l'arrière est devenu presque impossible. On ne sait rien de ce qui se passe. Vers 11 heures on se met en route dans les bois pour rejoindre la 8ème compagnie et attaquer avec elle à midi, quand en cours de route on rencontre les boches qui s'avancent en quantité sur nous. Il nous restent qu'une chose à faire, retourner au point de départ. Va-t-on y réussir, c'est ce que l'on se demande, car on reçoit des coups de fusils de tous les côtés. Enfin en un quart d'heure nous y sommes. Mais la 8ème compagnie est toute entière prisonnière, et à la 5ème il y a plusieurs morts et blessés dont le lieutenant Boivin, qui à ce moment commandait la compagnie. Il fut remplacé aussitôt par le sous-lieutenant Schmidt. La journée s'est ainsi terminée mais elle fut loin d'être gaie.

Le 24 il fait toujours froid et la neige tombe. Comme la veille, on n'a pas à manger, et on commence à avoir faim. Et comme depuis trois nuits on ne s'est pour ainsi dire pas reposés, on commence à se sentir fatigués. Malgré cela on travaille de bon cœur à se faire une tranchée, car à chaque instant on s'attend à être attaqués.

Vers trois heures de l'après-midi, un bombardement terrible sur Beaumont de la part des boches et attaque en masse. Ils prennent Beaumont et font plusieurs compagnies prisonnières, mais sont chassés aussitôt par nos feux de mitrailleuses. A ce moment toute communication à l'arrière pour nous est impossible. Pas une pièce d'artillerie de chez nous ne tire, aussi la position n'est pas agréable. Malgré tout, nous tenons jusqu'à minuit. Pourtant les boches nous ont attaqués 7 fois de 4 heures à minuit, mais comme on fait le simulacre de charger à la baïonnette, ils ont peur et se retirent. Il nous reste qu'un seul espoir, celui d'être prisonniers.

Le 25 vers une heure tout est calme autant d'un côté que de l'autre, et comme on a reçu l'ordre de partir, on profite de cette tranquillité pour partir. Tout se passe bien. Au petit jour nous rentrons à Belleville, pays abandonné et bombardé. Ici rien ne manque, c'est un vrai pillage. On y fait une bombe effrénée car on est sorti de cette fournaise, on ne sait par quelle fatalité. En ce jour les troupes de renfort sont venues et peuvent tenir tête aux attaques boches qui continuent de plus en plus terribles.

Dimanche 26 départ 4 heures. Nous croyons partir à l'arrière quand on nous fait monter en réserve derrière le 44ème qui lui est au fort de Vaux. Le matin il neige et tout est calme mais vers midi le bombardement recommence, aussi on a vu de quoi d'effrayant. Les 27-28-29, nous restons au même emplacement et le bombardement est continu. A chaque instant il y a des morts et des blessés. Mercredi 1er (mars) nous creusons des boyaux de communication. Tout se passe bien. Dans la nuit nous avons été relevés par le 409ème.

Vers le sud-est : nord de Toul

Le 2 (mars) au petit jour nous arrivons à Oudainville (Haudainville), où se trouve tout le régiment. Là nous sommes logés dans des péniches qui sont sur le canal. A part les avions qui sont venus nous jeter des bombes, nous avons été tranquille.

Le 3 on nous apprend que nous partons le soir même. Alors tout le jour on nettoie nos effets. Ce jour là, j'ai été proposé pour être nommé sergent. Le 4 à 4 heures nous montions en autos. Nous sommes passé par Souilly, Heippes, Issocourt, Chaumont-sur-Aire, Rembercourt, pays à moitié détruit par le bombardement en 1914. A 4 heures du soir nous le quittions pour aller cantonner à Villote-le-Pot (Villote-devant-Louppy). Dimanche 5 départ 8 heures pour aller cantonner à Louppy-le-Château. Le 6 il neige. Marche de 28 kilomètres. Départ 6 heures : passé par Laimont, Mussey où nous avions déparqué en 1916 venant du camp de Mailly, Haironville et plusieurs autres petits pays. La marche a été très fatigante, car il n'y avait pas moins de 25 à 30 centimètres d'épaisseur de neige. Nous avons cantonné à Rupt-aux-Nonains, pays où nous avions passé au mois de décembre 1915 et où nous avions été très bien reçus. Le 7 il fait beau temps, on a repos. Le 8 lavage du linge et revue du cantonnement. Le jeudi 9 départ 8 heures : passé par Bazincourt où nous avions eu 25 jours de repos au mois de décembre 1915, Lavincourt, Stainville, Ménil-sur-Saulx, le Bouchon, Dammarie, Morley, Couvertpuis, Hévilliers, Ribeaucourt où nous avons cantonnés. Nous avons fait ce jour là 28 kilomètres et pourtant il tombait encore de la neige. Le 10 départ à 9 heures : passé par Houdelaincourt où était cantonné le 9ème bataillon de marche du 13ème d'Infanterie. Ensuite Delouze, Rosières-en-Blois où nous avons cantonnés. La journée a été à peu près belle, mais la nuit il est retombé de la neige.

Samedi 11 départ 7 heures : passé par Badonvilliers, Epiez, Burey-en-Vaux, Vannes-le-Châtel où nous avons cantonné. Dans la soirée je suis allé en compagnie de deux camarades visiter la verrerie de Vannes où se fabriquait des verres de toutes sortes. J'ai trouvé cela très intéressant, aussi ai-je passé une soirée agréable. Dimanche 12 départ 9 heures. Il fait beau. Nous sommes allés cantonner à Colombey-les-Belles, où j'étais passé en 1914 au début de la mobilisation, étant au 57ème. Le 13 repos. Ce jour là nous avons eu à la compagnie un renfort de 325 hommes venant du bataillon de marche du 55ème. Le 14 repos. Il fait beau temps. Ce jour là j'apprends que je suis nommé sergent.

Le 15 beau temps. Départ de Colombey-les-Belles à 7 heures. Nous sommes allés cantonner à Toul dans une caserne. Le 16 départ 7 heures. On a traversé la ville de Toul pour aller cantonner à Bruley où nous avons passé quelques bons jours de repos. Le 17 installation et revue du cantonnement. Le 18 on a fait un peu d'exercice. Ce jour là nous avons eu un renfort venant de plusieurs régiments du 5ème corps. Dimanche 19 prise d'arme et décoration du Drapeau du 60ème par le Général Dubail. Le 20 exercice pour nous distraire. Le 21 douche et repos. Le 22 je suis de garde. Le soir on a fêté notre nomination de sous-officiers.

Le 23 départ de Bruley à 1 heure, arrivé à 5 heures à Grosrouvres, où nous avons cantonné. Le reste du jour repos. Le 24 le matin exercice, le soir revue. Le 25 départ 5 heures. Nous sommes allés travailler en avant de Grosrouvres, sur la bord de la grande route de Nancy à Saint-Mihiel. Rentré le soir à 6 heures. Le même jour nous avons eu un nouveau chef de section, le sous-lieutenant Catelon, qui fut évacué pour maladie au mois de septembre 1916 après notre première attaque de la Somme, et s'est tué quelques temps après au dépôt divisionnaire en montant à cheval. C'était un père de famille. Le 26 même travail que le 25. Le 27 aussi. Le 28 nous avons été vaccinés. Le 29 repos complet. Le 30 nettoyage et revue. Bombardement du patelin de jour et de nuit, aussi on n'a pas pu dormir tranquille. Le 31 le matin nous sommes retournés au travail. Le soir départ de Grosrouvres à 6 heures. On est retourné un peu plus à l'arrière, dans les baraquements dans le bois La Reine, où là nous n'avons point été bombardés.

Le 1er (avril) beau temps, grande activité des avions. Travail tout le jour. Ce jour là notre chef de section a reçu la médaille militaire à Andilly, où se trouvait le Colonel. Le 2 et 3 même travail qu'à l'habitude. Grande activité d'avions et duel d'artillerie. Le 4 revaccination. Le 5 repos complet. Le 6 également. Le 7 beau temps : le matin exercice, le soir au travail. Le 8 je suis de jour : le matin exercice, le soir repos pour moi. Dimanche 9 le matin exercice, le soir battage des couvertures et revue d'armes. Le 10 le matin au travail, mais on est à peine rendu qu'on reçoit l'ordre de rentrer. Départ du bois La Reine. A 6 heures du soir nous sommes allés cantonner à Lucey. A 11 heures du soir nous avons fait réveillon chez une bonne vieille, mais son vin était encore meilleur qu'elle.

Retour à Verdun

Le 11 à 7 heures du matin, nous étions en automobile. Nous sommes passés par Toul, Pagny-sur-Meuse, où le 19 août 1914 nous avions pris le train pour partir en Belgique. A ce moment j'étais au 57ème. De là Ligny, Bar-le-Duc, Erize-la-Grande, Souilly. On a débarqué à 9 kilomètres de Verdun. On est allé cantonner à Bellevue, petit pays vraiment dégoûtant où il n'y avait aucun habitant. Et pourtant il nous avait fallu faire de 15 à 20 kilomètres après avoir quitté les autos, et cela de nuit et sans avoir à manger. Nous sommes repassés par Houdainville où nous avions cantonné le 2 mars 1916. Le 12 il pleut, on a repos complet. Le 13 il pleut, reconnaissance du secteur. Le soir nous avons relevé le 140ème d'Infanterie au redoute de la Laufée. Malgré que nous ayons été bombardés tout le long de la route, tout s'est passé sans accident. Mais vraiment nous nous trouvions dans un mauvais trou dans l'eau et la boue jusqu'aux genoux, et d'où on ne pouvait sortir que la nuit, vu que nous avions un bombardement continu. Le 14 j'étais au poste d'observation. Le bombardement a été continu tout le jour. Samedi 15 le jour repos, le soir on a porté des piquets à la ferme Bourvaux, où se trouvait le 1er peloton de la compagnie. Toujours un bombardement intense. Ce soir là vers 10 heures une reconnaissance a été faite dans la direction du bois Carré par 30 hommes commandés par l'aspirant Nigoul qui fut nommé sous-lieutenant au mois de septembre 1916 et a été blessé grièvement par une balle en Champagne au mois de novembre de la même année. Le résultat de la reconnaissance fut nul et sans accident.

Dimanche 16 avril, le soir, je suis allé occuper un poste avec 15 hommes à 800 mètres en avant de notre première ligne. Le lendemain matin j'ai eu la chance d'être relevé à 4 heures et pas fâché, on peut le croire. Le 17 de 7 heures à 11 heures, travail où nous avons été bien bombardés et où une seconde de plus je n'existais plus.

De 1 heure à 6 heures, deux corvées à la batterie du Mardi-Gras. Le 18 même travail que la veille. Le 19 de garde au poste d'observation. J'ai été relevé le soir. Le 20 le jour repos. Toute la nuit nous avons fait des corvées. On a porté des piquets et du fil de fer. Jamais je n'avais vu un travail aussi pénible, aussi j'aurai donné ma vie pour rien de me voir avec 25 hommes dans la boue jusqu'aux genoux et sous un bombardement terrible.

Enfin avec du courage on s'en est encore sorti. Vendredi 21 le jour repos, le soir je suis allé au poste de liaison et fait une patrouille à minuit. Le 22 je suis malade. Dimanche 23 le soir j'ai accompagné la corvée de soupe à la batterie du Mardi-Gras, un endroit qui était bombardé continuellement, aussi on peut voir quel plaisir. A minuit nous avons été relevés par la 7ème compagnie.

On est allé en réserve à Fontaine Tavannes. Le 24 beau temps, aussi on commence à revivre un peu, car après une telle fatigue on était à peu près tous rendus à bout de forces et couvert de boue. A 11 heures du soir nous avons été relevés par un bataillon du 415ème. Tout s'est bien passé. Le 25 on est arrivé à Haudainville à 6 heures du matin. Tout le jour repos. Le 26 travaux de propreté et de nettoyage du cantonnement car on n'a jamais rien vu de si sale. Le 27 à 2 heures du matin alerte, mais on n'est pas parti. Le jour on continue le nettoyage. Le 28 le matin revue du cantonnement par le Colonel, le soir corvée de lavage. Le 29 exercice et lancement de grenade. On nous apprend que quelques jours après nous devons remonter pour attaquer. Ce même jour une dizaine d'obus sont tombés sur Haudainville. Dimanche 30 beau temps : exercice et revue. Depuis que nous étions descendus des tranchées un tiers du régiment avait été évacué pour cause de maladie, aussi on se demandait si oui ou non nous allions remonter et attaquer.

Le 1er et le 2 (mai) tous les jours exercice. Le 3 le matin lancement de grenade dans la Meuse, ce qui nous a permis de faire une belle pêche en même temps qu'une partie de plaisir.

Le soir même on nous apprend que la brigade est relevée et part au repos. Le 4 départ d'Haudainville à 10 heures du matin par une chaleur atroce. Nous avions environ 15 kilomètres a faire avant de prendre les autos. En route nous avons rencontré le 2ème bataillon du 57ème, aussi j'ai revu beaucoup d'anciens camarades ainsi que mon ancien Capitaine Couraud avec qui j'ai causé un moment.

A 4 heures du soir nous étions dans les autos. Nous sommes passés par Bar-le-Duc, Sermenaize. A minuit nous débarquions à Etrepy où nous sommes restés plusieurs jours. Etrepy est un petit pays situé sur le bord du canal de la Marne au Rhin. Il fut démoli et brûlé en 1914. Au moment de la bataille de la Marne les Allemands ne vinrent pas plus loin. Le 5 réveil 7 heures et aussitôt installation du cantonnement. La compagnie était commandée à ce moment par le capitaine Rolland qui était loin d'être commode. Il était depuis le début de la campagne lieutenant au ravitaillement. Il venait d'être nommé capitaine et avait pris le commandement de la compagnie 2 jours avant d'être relevé du secteur de la Laufée. Le 6 mai le matin il pleut. On continue l'installation du cantonnement. Dimanche 7 mai repos complet, à 9 heures messe. Le 8 revue des effets équipements. Le 9 je suis de jour : même travail que la veille. Le 10 mai promenade hygiénique sur la grande route menant à Vitry : passé par Vignecourt, pays au trois quart démoli et brûlé. On a suivi le canal pour rentrer sur Etrepy. Le soir à 1 heure exercice de la pompe à incendie où on s'est amusé. A 2 heures départ pour la promenade. Passé par Heiltz-le-Maurupt où on a fait une halte d'un quart d'heure. On a visité l'église qui a eu l'intérieur brûlé et démoli en 1914 au moment de la bataille de la Marne. Les autres maisons furent au trois quart brûlées. De là Minecourt et on est rentré. Le 11 le matin promenade à travers champs où on a vu beaucoup de tombes de Français et de boches tués à la bataille de la Marne. Le soir passé par Minecourt, joli petit pays, Vignecourt et rentré en suivant le canal. En arrivant il y a eu musique. A 8 heures du soir départ de plusieurs permissionnaires. Le 12 le matin douche, le soir promenade à Pargny-sur-Saulx. Le 13 promenade à Vignecourt, le soir il pleut. Dimanche 14 mai tout le jour repos. Le matin on est allé à la messe. La soirée avec quatre de mes camarades, nous sommes allés souper à Jussecourt où on a pris une petite partie de plaisir. On est rentré à huit heures, craignant d'être punis.

Lundi 15 il pleut alors repos. Le 16 le matin revue d'armes par le chef armurier, le soir promenade : passé par Bignicourt où on a visiter l'église dont la toiture a été traversée par deux obus de 75 en 1914. Un seul a éclaté. Continué jusqu'à Buisson et fait demi-tour. Le soir il y a eu départ de permissionnaires. Le 17 je suis de jour. Le matin exercice de pontage à Pargny, le soir repos. Le 18 le matin lancement de grenades, le soir concert au troisième bataillon. Moi je suis malade. Le 19 malade. Pour la compagnie tout le jour exercice. Le 20 marche : passé par Buisson, Bignicourt, le soir repos.

"Repos" dans les Vosges et en Alsace

Dimanche 21 mai je suis de jour. Départ d'Etrepy, il faisait chaud. On a fait 7 kilomètres pour aller embarquer à Blesme d'où nous sommes partis à 6 heures du soir. Passé par Pagny-sur-Saulx Sermaize-les-Bains, Revigny, Bar-le-Duc, Nançois-Tronville, Gondecourt (Grimaucourt) où je me suis endormi et réveillé à Mirecourt où se trouvait un bataillon du 44ème. On a continué sur Hymont, Cacéron (Racécourt), Dompaire, Barneuille (Danieulles), Uxegney, Epinal, Arches, Donzelle (Docelles), Cheménille (Chéniménil), Deycimont, Lépanges, Laval, Bruyères. Enfin on est arrivé à Lavéline. Le lundi 22 à 9 heures on nous a débarqué là. Le pays était en fête car il y avait renouvellement de la première communion. Nous sommes allés cantonner à La Chapelle.

Le 23 départ de La Chapelle à 8 heures : passé par Laveline, Aumontzey, Granges où a cantonné tout le régiment. La marche ne fut pas fatigante car on était dans un joli pays un peu accidenté car nous étions dans les Vosges, mais tout à fait agréable. Granges est un joli pays et très industriel. Les gens y étaient tout à fait agréables, aussi notre passage y fut gai. C'est ce jour là que j'ai reçu une montre envoyée par mes parents, ce qui m'a fait plaisir.

Le 24 départ de Granges à 6 heures. Comme la marche doit être longue et dans un pays montagneux, on n'a pas le sac. Il faisait chaud mais nous fûmes pour la plupart du temps dans des bois de sapins d'où se dégageait une forte odeur agréable et où coulait l'eau en abondance. On a fait que 15 kilomètres. Nous avons passé à Etohlie (le Tholy). On a cantonné dans une ferme à 1 kilomètre de ce dernier. La journée a été belle, la soirée on est allé se baigner.

Le 25 je suis de jour. Départ du Tholy à 4 heures : passé par Plaine, Creuilles, Julienrupt, Vagney où était cantonné le 47ème d'artillerie. On est arrivé à Thiéfosse à 10 heures où on a été très bien reçu. A l'entrée du pays, en travers de la route, une guirlande était placée portant l'inscription " Honneur aux braves de Verdun ".

Le colonel et le commandant du 2ème bataillon reçurent chacun un bouquet. Le 26 je suis de garde au poste de police. 24 heures qui furent bien longues par rapport aux punis de prison qui à chaque instant cherchent à s'évader.

Le 27 à 10 heures je suis relevé de garde. Le soir revue du cantonnement qui était tout à fait bien installé, aussi on a eu les félicitations du commandant de compagnie.

Le même jour le général de Villaret qui en 1915 commandait le 7ème corps d'armée est passé à Thiéfosse. Dimanche 28 repos. Le matin messe, la soirée concert de musique, et après souper je suis allé avec 4 camarades me promener dans un petit pays à 2 kilomètres. Le 29 revue en tenue de départ. Le 30 départ de Thiéfosse à 7 heures. On est allé cantonner à Saulxures où la soirée je suis allé visiter une filature de laine. Saulxures est un pays très agréable et où nous avons passé une bonne soirée. Le 31 départ à 6 heures : passé par Cornimont, Ménil. On a cantonné à Thillot, pays très important. On a vu de jolis magasins, très beaux cafés. On a visité l'église qui était tout à fait jolie. Ce même jour nous avons eu à la compagnie 40 hommes de renfort venant du 112ème d'infanterie. Cette fois tout le régiment était cantonné ensemble.

1er juin départ de Thillot à 5 heures. Passé par Saint-Maurice, le Ballon de Servanche où on voyait de la neige alors que s'était le mois de juin, Bussang où on a cantonné tout près de la gare.

Je suis de jour. Bussang est un joli pays où on a fait une bonne partie de rigolade avec les copains.

Le 2 juin départ de Bussang à 5 heures. Il faisait très beau. A 7 heures nous passions le tunnel où était la frontière depuis 1870. A la sortie on a salué l'ancienne terre française. Le général de la 66ème division nous a fait un discours et ensuite on s'est mis en route sur la terre reconquise.

Premier village Urbès où l'on a vu les premiers Alsaciens surtout beaucoup d'Alsaciennes qui ont eu l'air de nous dire bonjour dans un langage où on a rien compris. Wesserling, pays important que l'on a traversé musique en tête et où on a défilé devant le colonel Gers. Ensuite Saint-Amarin où les habitants nous ont tout à fait bien accueilli. Les petites fillettes portaient d'énormes bouquets de fleurs qu'elles donnaient à qui on voulait. A notre arrivée il y a eu défilé avec la musique. Présentation du drapeau sur la place de Saint-Amarin. Tout cela était très joli mais on était fatigué car il faisait chaud. De là on est rentré au cantonnement et la soirée on a eu repos. Le 3 il pleut, il y a eu installation du cantonnement. Le dimanche 4 repos le matin messe spécialement pour les soldats car l'église quoique jolie était petite et n'aurait pu contenir civils et militaires. Car les gens de Saint-Amarin assistaient beaucoup à la messe, soi disant beaucoup plus pendant qu'avant la guerre. La soirée, concert donné par la musique sur la place. Nous étions dans ce pays comme dans une caserne, on ne pouvait partir qu'à des heures réglementaires et aussi dans une tenue réglementaire.

Le 5 juin il pleut. Le matin échange d'effets et le soir revue du cantonnement par le colonel Gers, commandant à ce moment la brigade. Le 6 il pleut. Le matin douche, le reste du jour repos. Le 7 encore la pluie et repos. Le 8 je suis de jour, on a eu exercice et théorie. Vendredi 9 tout le jour exercice pour nous distraire. Le 10 dans la soirée rassemblement du régiment sur le terrain de manoeuvre de Saint-Amarin. Revue par le colonel qui ensuite a distribué plusieurs croix de guerre. Ensuite musique et défilé. Dimanche 11 repos mais la section est de jour et de piquet, aussi on ne put sortir du cantonnement.

Le 12 théorie et exercice. Moi je suis allé faire laver le linge de la compagnie à une laveuse mécanique tenue par des Américains.

Le 13 il pleut, il y a eu vaccination. Le 14 exercice. Le 15 il faisait beau, j'étais de jour. Le soir revue du cantonnement par le général de Villaret. Le 16 réveil 5 heures. Départ de Saint-Amarin à huit heures pour aller occuper des emplacements de réserve derrière Steinbach à l'occasion d'un coup de main de notre part qui a été fait le lendemain soir et qui a eu pour résultat trois Français de tués, plusieurs blessés et on a fait un prisonnier boche, et puis on a eu nos tranchées démolies. Le coup de main a été fait par 50 hommes de trois régiments du 152ème d'infanterie, du 4ème chasseur à cheval et du 64ème chasseur à pied. Pour aller à Steinbach, nous sommes passé par Moosch, Villers, Bitschwiller et le jeune Thann qui à ce moment n'était pour ainsi dire pas démoli.

Samedi 17 juin nous sommes allés travailler tout le jour en première ligne et on a été toute la nuit en alerte, prêt à partir car on craignait une revanche des boches, chose qui n'a pas eu lieu. Aussi on nous a laissé tranquille. Dimanche 18 et lundi 19 même travail par bonheur tout a été calme on a pas reçu un coup de canon. Le lundi soir à 8 heures nous quittions les tranchées pour rentrer à Saint-Amarin. Nous sommes passés par le vieux Thann qui lui était à ce moment inhabité et au trois quarts démolis, Bitschwiller, Villers, Moosch et on est arrivé à Saint-Amarin à minuit. Le 20 le matin nettoyage, le soir exercice.

Le 21 toute la section était de garde au poste de police. Moi je gardais les prisonniers à la prison civile et où se trouvait une fille de 17 ans. La soirée il y eu concert. Le 22 revue en tenue de départ. A 4 heures concert. Après on s'est fait préparer à manger chez notre voisine qui était tout à fait gentille pour nous. On a chanté jusqu'à minuit.

Le 23 juin départ de Saint-Amarin à huit heures. Là on a pris le train qui nous a transporté jusqu'à Kruth. De là nous avions encore 15 kilomètres à faire pour monter en 2ème ligne au camp Viallet. La marche fut très pénible. Il nous a fallu monter à plus de deux milles d'altitude et par une chaleur écrasante. Enfin à trois heures de l'après-midi nous étions à destination. Le 24 nettoyage des abris. Nous nous trouvions à peine à huit cents mètres des lignes boches mais on ne l'aurait pas dit, car nous n'avons jamais reçu un coup de canon. Nous étions là au milieu des bois de sapins dans une vraie solitude, respirant l'air pur de la montagne et trouvant un vrai plaisir à vivre dans une semblable tranquillité.

Le 25 un dimanche la section a travaillé au petit poste Agard. Les 26-27-28 même travail que le 25. Le 29 je suis de jour. Pour la première fois je suis allé en première ligne porter des grenades. Le 30 même travail qu'à l'habitude.

Le 1er juillet travail au poste Agard. Dimanche 2 repos. Le 3 changement d'emplacement. Travail le matin de 4 à 8 heures, le soir de 15 à 19 heures. Les 4-5-6-7 et 8 même chose que le 3 mais nous avons eu quelques moments de repos, car il est tombé de l'eau. Dimanche 9 à 1 heure du matin alerte. Il n'y a rien eu, aussi on a pu se reposer. Le 10 et le 11 même travail que les autres jours mais le 11 mai j'avais repos. Il faisait très beau, aussi nous avons eu la visite des avions boches. Le 12 et le 13 toujours beau temps, même travail.

Le 14 juillet, à l'occasion de la fête nationale nous avons eu repos. Le soir nous avons eu un bon souper. On a chanté comme s'il n'y avait personne de plus heureux que nous au monde. Le 15 préparatifs au départ. Le 16 à 2 heures de l'après-midi nous avons été relevés par le 347ème d'infanterie. Ce soir là le régiment est allé cantonner à Wildenstein où on ne s'est pas fait de mauvais sang. Pendant notre séjour en ligne, tout s'était à peu près bien passé, excepté le dernier jour où il y a eu plusieurs tués et blessés au premier bataillon. A ce moment les premières lignes françaises se trouvaient à Mezeral (Metheral) où était le 44ème et au Wirzenfirtz (Hilsenfirst) occupé par le 60ème d'infanterie. Lundi 17 repos. Le 17 départ de Wildenstein à 5 heures. Nous sommes passés au Ballon d'Alsace et au col de Bramont où on a repassé la frontière. On a cantonné à la Bresse, joli pays où on a été très bien reçu. J'ai couché dans un bon lit avec le camarade Bertin chez Madame Lemaire. Le 18 départ de la Bresse à 5 heures. Le régiment est allé cantonner à Gérardmer où on a encore fait une bonne partie de rigolade. Dans la soirée on est allé se promener en canot sur le lac et après on achetait les blagues à bon marché avec les copains Berthon, Cahen, David (sergent Lucien DAVID).

Le 20 (19) juillet à 8 heures revue en tenue de départ. A midi départ de Gérardmer : passé par Le Mauzée (Aumontzey), arrivée à Laveline à 6 heures où on a mangé et on s'est reposé. A 10 heures nous avons embarqué pour partir à minuit. Il faisait beau, on était content car on venait de passer presque deux mois dans joli pays sain et agréable et où les gens ont été ce qu'il y a de plus agréable. Tous étaient vraiment dévoués pour faire plaisir au soldat, aussi c'est-il avec un peu de regrets que nous avons tout quitté pour aller dans la Somme où nous avons toutes les misères possibles pour s'en tirer. Le 21 grand voyage en chemin de fer. A 9 heures du matin nous étions à Langres. On a continué par Epinal, Jussey, Langres, Chaumont, Bar-sur-Aube, Jessains, Troyes, Nogent-sur-Seine, Nangis, Champigny-la-bataille, Noisy-le-sec, Le Bourget, Amiens et Saleux où nous avons débarqué le 22 à deux heures du matin.

La Somme : Bouchavesnes

On est allé cantonner à Saveuse (22 juillet) dans des habitations construites la plupart en terre et qui étaient à moitié démolies. Les habitants ne valaient pas ceux des Vosges. Le pays est joli comme campagne car on voit d'immenses plaines et des récoltes abondantes en blés et avoines. Dans notre déplacement des Vosges dans la Somme, nous sommes restés 32 heures en chemin de fer. Le voyage a été agréable. On est passé dans différents départements : Vosges, Haute-Saône, Haute-Marne, Aube, Seine-et-Marne, Seine et la Somme.

Dimanche 23 tout le jour on a travaillé et le soir préparatifs au départ. Le 24 je suis de jour. On nous a laissé tranquille, ce qui nous a pas empêché de rire le soir. Le 25 départ de Saveuse à 7 heures : passé par Saleux, Dury, Saint-Fuscien, Boves. On a cantonné à Gentelles, vilain pays mais où on a eut la belle part pour rire, boire et manger. Le 26 matin exercice, le soir revue. Le 27 départ de Gentelle à 7 heures : passé par Cachy, Villers-Bretonneux,. On a cantonné au camp 61 sous les tentes. Le soir on est allé visiter un camp d'aviation. Le 28 le matin exercice, le soir lancement de grenade. Le 29 manoeuvre avec les signaux en vue d'une attaque prochaine.

Le 30 un dimanche manoeuvre. Le 31 le matin exercice, la soirée repos. Le 1er août je suis de jour : marche de bataillon. Le 2 départ du camp 61 à 4 heures du soir : passé par le Hamel, Sergy (Cerisy), Chipilly, Bray-sur-Somme. On est arrivé au camp de Suzanne à minuit. On a cantonné. On était à environ 10 kilomètres du front, aussi pas loin de nous c'est une canonnade continue et terrible. Le 3 août le matin montage des tentes, le soir revue d'armes. Le 4 repos. Le 5 le matin exercice, mais on nous fait retourner en vitesse. Le soir exercice de tir au fusil mitrailleur. Dimanche 6 août le matin exercice, le soir corvée de lavage. Le 7 je suis de jour. Reconnaissance du secteur par les officiers. Ce jour-là 5 obus sont tombés sur le camp mais n'ont fait aucun mal. Le soir on a creusé des tranchées abris. Le 8 continuation des tranchées.

Le 9 (août) je suis malade. Le soir à 7 heures départ pour les tranchées. On a relevé le 363ème au bois d'Hem. La relève s'est à peu près bien passée mais sous un terrible bombardement. Surtout à notre passage à Curlu et aux carrières. Le 10 journée calme, on a fait plusieurs prisonniers boches.

Le 11 à 5 heures du soir attaque d'un fortin par un bataillon du 44ème, 6ème compagnie du 60ème et 4ème section de la 5ème compagnie. Tout a bien réussi, il y a que quelques morts et blessés. On a fait 150 prisonniers.

Le 12 bombardement intense des deux côtés. A 10 heures prise du bois Croisette par les éclaireurs du 2ème bataillon et la 1ère section de la 5ème compagnie. On a fait 23 prisonniers. A 5 heures dans la soirée attaque de la tranchée d'Hanovre par le 60ème et le 44ème. On a avancé de 1000 mètres environ. Le régiment n'a pas eu de pertes mais le 44ème lui a été bien éprouvé. De cette tranchée on aperçoit très bien Cléry qui ne se trouvait qu'à 5 ou 600 mètres. Les boches eurent beaucoup de pertes, tant que morts et prisonniers.

Les 13-14-15-16-17-18-19 nous sommes restés pour tenir la position sous un terrible bombardement. A chaque instant il y avait des morts et des blessés. On n'a pu manger que la nuit et encore dans des conditions affreuses. Il faisait très chaud, aussi notre plus grande souffrance était la soif, et pas moyen d'avoir seulement de l'eau. Toutes les nuits il nous a fallu travailler car chaque jour nous avancions de quelques mètres.

Enfin dans la nuit du 19 au 20 nous avons été relevés par un bataillon de chasseurs, le 67ème. La relève s'est faite sous le bombardement mais sans incident pour la compagnie. Le 20 à 6 heures du matin nous arrivions à Suzanne où une bonne soupe nous a été servie. Aussitôt mangé on a pris les autos qui nous ont conduits au camp 60 près de Hamel. On se trouvait dans un bois dans des baraquements où on a pu se reposer. Le 21 nettoyage des effets, la soirée douche. Le 22 le capitaine Boivin qui avait été blessé à Verdun au mois de février a repris le commandement de la compagnie. On ne saurait oublier son entrée. Car il a commencé par nous adresser des reproches qui pourtant ne nous semblaient pas mérités, mais il est vrai que c'était dans son habitude.

Le dimanche 23 le matin messe, la soirée prise d'armes. Quoique bien malade il faut tout de même marcher. Le 24 exercice et théorie. Le 25 je suis de jour. Ce même jour on a reçu du renfort. Le 26 reconstitution de la compagnie qui d'après dix jours de tranchées était réduite à de petits effectifs. Il ne nous restait plus aucun officier aussi a-t-on trouvé un grand changement pendant bien des jours. Cela a aussi permis qu'aucun de nous n'a été récompensé du travail qu'il avait fait.

Dimanche 27 départ du camp 60 à 7 heures du matin. A midi nous étions rendu à Villers-Bretonneux où nous avons cantonné. Le 28 je suis de jour. Le matin installation du cantonnement, la soirée revue par le colonel. Et échange d'effets. Le 29 le matin exercice, la soirée corvée de lavage. A 6 heures le soir concert donné par la musique. Le 30 il pleut : théorie et revue. Le 31 matin douche. La soirée théorie et revue. Vendredi 1er je suis de jour. Le matin exercice, le soir repos. Le 2 le matin exercice. Le soir à trois heures départ de Villers-Bretonneux pour aller cantonner à Hamel. Le 3 départ de Hamel à 2 heures du matin : passés par Cerisy, Chipilly, Etinebem. On a cantonné au camp Suzanne. Le soir exercice et lancement de grenades. Le 4 septembre il pleut. Le soir à 5 heures alerte mais au bout d'une heure contre-ordre. Le 5 je suis de jour. Le régiment est en alerte, prêt à partir. A 4 heures du soir départ du camp de Suzanne. On est allé cantonner au Chapeau-de-Gendarme sous les tentes. Le 6 beau temps et repos. Le 7 théorie et exercice, pourtant les obus tombaient pas loin. Le 8 au matin exercice, le soir lancement de grenades.

Le 9 (septembre) au matin exercice, le soir corvée de lavage au moulin de Fargny dont nous étions tout près. En même temps on a pu se baigner dans l'écluse. Aussi ce fut pour nous une partie de plaisir. Dimanche 10 on a eu repos.

Le 11 le matin revue d'armes, la soirée repos. Mais à 7 heures du soir 60 hommes sont allés travailler au bois d'Herm et sont rentrés le 12 à 3 heures du matin. Et à 5 heures nous quittions le moulin de Pargny pour monter en réserve au boyau de Sauve-qui-peut car quelques jours auparavant c'était une position intenable, mais à ce moment il y avait un peu plus de tranquillité. Ce jour là grande attaque, prise de Bouchavesnes par le 44ème mais d'après les journaux c'était un bataillon de chasseurs qui l'avait pris. Dans la soirée on vu défiler beaucoup de prisonniers car pour une fois des bataillons entiers se rendaient sans combattre. A une heure de la soirée nous quittions le boyau de Sauve-qui-peut pour aller aux carrières où on est resté une heure. De là on est allé à la tranchée d'Hanovre. Aussitôt arrivé je suis allé reconnaître des positions plus à l'avant et abritées. C'est là que j'ai pu voir un vrai champ de bataille où gisaient les morts Français et boches en quantités innombrables. Chose qui ferait horreur à voir.

A 9 heures, aussitôt mon retour nous quittions la tranchée d'Hanovre pour aller au ravin de Cléry.

Le 13 à la pointe du jour nous quittions le ravin de Cléry pour aller dans le bois Rainette. Et à 6 heures nous sommes partis dans le bois de Marrière dans la tranchée des Berlingots où là comme dans beaucoup d'endroits on voyait une quantité de boches morts. Ce jour là matin et soir je suis allé accompagner la corvée de soupe, chose très pénible car le bombardement est toujours continu et intense, aussi la vie n'est pas gaie.

Le jeudi 14 à 2 heures du matin le bataillon est monté en ligne remplacer un bataillon du 44ème. En cours de route il y a eu plusieurs morts et blessés. Les obus ne cessent de tomber. A 4 heures nous sommes en première ligne devant Bouchavesnes. Jusqu'à onze heures on est assez tranquille, mais à partir de cette heure le bombardement de la part des boches redouble d'intensité, aussi on prévoit une attaque de leur part. A midi on voit leur attaque se déclencher, alors on met sac au dos et sans plus de préparatif on part à l'attaque nous aussi. La rencontre fut terrible car nous nous sommes trouvés sous une pluie de balles et d'obus. Dans l'espace de deux heures les pertes pour le régiment étaient considérables mais nous avions conservé Bouchavesnes.

La soirée fut longue car jusqu'à la tombée de la nuit nous sommes restés sous une pluie de balles et d'obus et sans abris. Là comme dans beaucoup d'attaques beaucoup de nous furent atteints par nos obus mais à n'importe quel prix il fallait tenir et on a tenu. A 9 heures chose incroyable de part et d'autre régnait le plus grand calme. En première ligne on ne recevait pas un obus, pas une balle. Ce qui a permis de rétablir un peu l'ordre. A minuit on nous apprend que nous allons être relevés. Le 15 à 2 heures du matin le 42ème prenait notre place. Tout s'est à peu près bien passé pendant notre relève. Nous sommes revenus à la tranchée des Berlingots où les obus n'ont cessé de tomber.

Le 16 à 9 heures du soir nous sommes partis sur l'arrière car ce soir là le 7ème corps était relevé par le 5ème corps. A 11 heures du soir nous arrivions au moulin de Fargny où là on respirait un peu à son aise. On a mangé la soupe et ensuite on s'est rendu au camp Suzanne où on a bivouaqué.

Dimanche 17 départ du camp Suzanne à 8 heures. On a pris les autos à Cappy. On est passé par Bray-sur-Somme, Proyart, Warfusée, Villers-Bretonneux, Domart où on a débarqué et cantonné. On a été très bien reçu, aussi on a pu boire à son aise un bon coup de vin blanc, ce qui nous a remis un peu de nos émotions. Car vraiment on venait d'en échapper encore une fois à une belle. Lundi 18 il pleut : nettoyage des effets.

Le 19 départ de Domart à 11 heures en automobile : Passé par Hangard, Moreuil, un beau pays, Ailly-sur-Noye, le Bosquel, Conty. A 6 heures du soir nous arrivions au Taisnil où on a débarqué et cantonné. Petit pays où l'on a trouvé presque que du vin à acheter. Le 20 le matin installation du cantonnement, la soirée repos. Le soir après avoir soupé on est allé visiter un petit pays Rumaisnil où était cantonné le 1er bataillon. On a toute peine pu trouver une maison pour boire un coup. On a visité l'église, tout ce qu'il y avait de plus beau dans le pays car elle était toute neuve.

Le 21 je suis de jour : échange d'effets. Le 22 le matin repos, la soirée revue en tenue de départ. Le 23 départ du Taisnil à 1 heures du matin. Nous devions embarquer à 5 heures mais un grand retard s'étant produit on a pu partir que dans la soirée à trois heures. Heureusement il faisait très beau aussi la journée fut assez agréable. Départ de Prouzel à 15 heures : On est passé par Amiens, Longueau, Breteuil, Creil, Noisy-le sec. On est passé à ce dernier entre minuit et une heure. Château-Thierry, Epernay, Châlons-sur-Marne. A 9h30 le 24 nous débarquions à Coolus et nous sommes allés cantonner à quelques kilomètres plus loin, à Moncetz où on est resté que trois ou quatre jours, mais sans ce faire de mauvais sang. Lundi 25 repos. Mardi 26 revue du cantonnement par le commandant. Le 27 douche. Ce jour là le régiment a reçu un renfort du 93ème et du 172ème d'Infanterie. La soirée reconstitution de la compagnie. Le 28 repos. Le 29 il pleut. Le 30 à 15 heures revue en tenue de départ.

Dimanche 1er octobre repos. Le 2 départ de Moncetz en automobile à 7 heures du matin. Passé par Marson, Courtisols, Auve. On a débarqué à 4 kilomètres de Sainte-Menehould pour aller cantonner à Braux-Saint-Chayières (Braux-Saint-Cohière). Le 3 reconnaissance du secteur par les officiers car le soir même on est monté en ligne, chose qui ne nous faisait point plaisir, car après avoir attaqué dans la Somme on nous avait promis un long repos et nous avons eu que quatre jours, beaucoup de permissions et il y en avait très peu.

Secteur de la Main de Massiges

Ce jour là (3 octobre) nous avons relevé le 41ème colonial en avant de Massiges, au Cratère. Pour y aller nous sommes passés par Courtémont, Virginy et Massiges. Dans ces deux derniers villages il n'existait plus aucune maison.

Le 4 je suis de jour. Je suis allé deux fois accompagner la corvée de soupe et le soir de garde au petit poste Caponnière. Le 5 il pleut. Le 6 repos. Le 7 au petit poste A. Dimanche 8 il pleut. Le 9 dans la soirée on a travaillé un peu. e même jour le capitaine est passé en première ligne, ce qui n'arrivait pas tous les jours. Mais il ne nous a point complimenté. Le 10 il fait beau temps. Le soir j'étais de garde au petit poste Echorne. Le 11 beau temps. Ce jour là notre sous-lieutenant Mimaud est parti en cours. Le 12 je suis de cours. Le 13 à 10 heures du soir nous avons été relevés par la 10ème compagnie. Pendant dix jours de première ligne nous avions été tout à fait tranquille. Les boches nous ont laissé tranquille. Le 14 j'étais resté aux tranchées pour donner les consignes.

Dimanche 15 il pleut mais j'ai tout de même lavé mon linge. Nous étions en réserve à Massiges même, dans des abris. Le 16 le jour nettoyages. Le soir à 7 heures 60 hommes sont allés en corvée en première ligne. Le 17 distribution d'effets. Le soir corvée de 40 hommes : même travail que la veille. Le 18 il pleut. Le soir corvée de 40 hommes. J'y étais moi aussi. Le 19 il pleut, le soir corvée de 30 hommes. Le 20 revue en tenue de départ, moi je travaille au cimetière avec 4 hommes. Le 21 également. Le 22 préparatifs pour monter en première ligne. Je comptais ce jour là partir en permission pour me trouver chez nous en même temps que mon frère. Mais elle m'a été refusée, aussi tout cela ne m'empêchait pas d'avoir un peu le cafard.

Lundi 23 à 4 heures du matin départ pour la première ligne. Le bataillon a relevé le 3ème bataillon du 44ème. Tout s'est bien passé, il faisait beau. Là on occupait les tranchées en avant du Pouce. On y était mal abrité et constamment bombardé. Nous étions qu'à quelques mètres des tranchées boches. Le soir à 6 heures je suis allé occuper avec 12 hommes et un caporal les petits postes 17 et 18 à 8 mètres des boches. Le 24 il pleut, les boches étaient un peu plus sages. A 6 heures du soir j'ai été relevé par le sergent Carouget. Le 25 il fait beau temps, aussi les boches en ont profité pour bien démolir notre première ligne avec des torpilles. Il n'y a pas eu d'accident mais toute la nuit il a fallu travailler, et avec cela occuper les petits postes 17 et 18. A 11 heures du soir j'ai fait une patrouille : Tout c'est passé sans accident. Le 26 il pleut mais on travaille toute de même. Le soir je suis allé aux petits postes avec des hommes de la première section. La journée a été calme. Le 27 journée calme. Je suis au P.P. mais je me repose. Le 28 belle journée. Bombardement de la part des boches où on n'a eu que nos tranchées démolies. Ce jour là j'étais à l'observatoire. Le dimanche 29 le soir j'étais de garde aux P.P. 17 et 18. A 11 heures du soir j'ai fait une patrouille : Tout c'est passé sans accident.Le 30 à 6 heures du matin la 7ème compagnie nous a relevé. Tout s'est bien passé mais dans la journée les boches ont encore bombardés la première ligne. Il y a eu alerte pour nous et des morts et des blessés à la 7ème compagnie.

Le 31 beau temps. Ce jour là on a travaillé comme des martyrs. L'aspirant Gaide, le sergent Adam et moi on a refait le plan des ouvrages 2, 3 et Bugeaud.

Le 1er (novembre) de 5 à 7 heures travail. Le reste du jour on a eu repos. Ce jour là le sous-lieutenant Mimaud est retourné des cours et est parti en permission le lendemain. Le 2 il pleut aussi les tranchées se sont à moitié écroulées, ce qui nous a donné beaucoup de travail. Ce même jour la compagnie a changé de sergent major. Nous avions ( ?) qui a été remplacé par Braumet, qui lui est parti à Salonique au mois de novembre 1917. Le 3 dans la nuit toute la compagnie a travaillé au boyau 6. Ce même jour notre commandant de compagnie le lieutenant Bovin est passé capitaine. Le 4 le jour repos la nuit même travail que la veille.

Dimanche 5 à 9 heures du matin je partais en permission. Je n'y étais pas allé depuis le mois de janvier 1916.

J'ai pris le tacot à 13 heures au promontoire où se trouvait le poste de commandement de la brigade. J'étais à Courtémont à 14 heures et à 15 heures à Valmy où on a pris des douches, changé le linge et souper pour rien. Le 6 à 2 heures du matin départ de Valmy : passé par Châlons-sur-Marne, Vitry-le-François à 6h50. Là on a pris la direction de Jessains où on est arrivé à 8h50 et on en est reparti à 11h34 par le train I direction Troyes, Sens, Orléans à 17h35. Là on a changé de train et on est reparti à 18h40 direction Poitiers. Arrivé à Angoulême à 5h30 le 7 au matin. J'en suis reparti à 6h40 pour arriver à Pons à 10h15 pour en repartir le soir à 14h40 et arriver à Gémozac à 3h50. Ce jour là il pleut.

Le 8 et le 9 j'ai resté à la maison. Le 10 à Saint Fort. Le 11 chez nous. J'ai vu Bernard et Baudouin. Le 12 un dimanche je suis allé chez Luna. La soirée à Gémozac j'ai vu beaucoup de camarades et on a trinqué ensemble. Le soir j'ai soupé à St Simon et j'ai couché. Le 13 au soir j'ai soupé à la Foie. Le 14 j'étais chez nous.

Le 15 novembre à deux heures départ de Gémozac. J'ai repris la même direction que pour venir. Le 17 à 1 heure du matin j'arrivais à Valmy. J'ai rejoint la compagnie qui était au repos à Courtémont. Il faisait beau mais très froid. Le samedi 18 repos. Dimanche 19 repos. Il fait beaucoup moins froid qu'à l'habitude. Le 20 reformation de la compagnie. Le soir j'ai pris la garde au poste de police.

Le 21 à 6 heures du soir départ de Courtémont pour monter aux tranchées. A 10 heures nous avons relevé le 44ème au ravin des Noyers : Tout s'est bien passé mais dans la boue jusqu'aux genoux. Le 22 les boches ont été sages. Le 23 il faisait froid, journée assez calme. Le 24 à 2 heures et à 5 heures du matin alerte. Les boches ont bombardé tout le jour. Le 25 il pleut. Tout le jour bombardement continu, la nuit a été calme. Dimanche 26 journée calme. Le 27 aussi mais dans la nuit une patrouille a été faite par le caporal Siacci. Le 28 à 6 heures du matin nous avons été relevé par la première section. Tout le jour repos. Le 29 dans la nuit je suis allé avec 16 hommes travailler en première ligne.

Le 30 je suis de jour.

Le 1er décembre repos. Le 2 beau temps, la nuit au travail. Le 3 de 2 heures à trois heures une patrouille a été exécutée par le sergent Nicolas et 5 hommes entre les postes 16 et 18 sans incident mais laquelle lui a rapporté des félicitations. Le soir on est allé travailler en première ligne. Le 4 il est tombé de la neige. Dans la nuit je suis allé avec 5 hommes placer des fils de fer entre les deux lignes. Le 5 temps brumeux. Je suis passé à la 2ème section remplacer un permissionnaire. Le 6 les boches ont bombardé le ravin du Pouce. Le soir nous avons été relevé par le 44ème. Tout s'est bien passé.

On est allé au repos à la côte 202 où nous sommes arrivés le 7 à 2 heures du matin. Le reste du jour repos. Le 8 décembre prise d'armes et remise des décorations. Le 9 repos. Notre capitaine est parti en permission. Dimanche 10 repos. Le 11 repos. Le 12 douche. Le 13 le matin exercice, le soir promenade. Le 14 il neige. Ce jour là on a commencé des tranchées pour nous abriter en cas de bombardement. Le 15 il fait très froid, continuation du travail. Le 16 je me suis rendu à la Neuville-au-Pont pour suivre un cours de mitrailleur. Le soir même je suis allé voir Auguste Brémaud. Dimanche 17 il est venu déjeuner avec moi à la Neuville aussi on a passé une bonne journée. Le 18 le cours de mitrailleur a commencé : le matin théorie, le soir école de pièce. Le 19 le matin théorie, le soir tir. Le 20 on nous a appris que les cours se terminaient. On a rejoint la compagnie aussitôt.

Le 21 départ de la côte 202 à 1 heure du matin. Nous sommes allés relever une compagnie du 44ème à la demie-Lune. Ce même jour le 2ème peloton est de corvée. Le 22 de jour travail, la nuit de corvée. Le 23 jour et nuit travail et corvée. Le 24 même chose que la veille.

Le 25 décembre on a passé un bien triste Noël. Le 26 repos. Le 27 travail comme à l'habitude et bombardement de la part des boches. Le 28 corvée de jour, travail de nuit. Le 29 corvée et il pleut. Le 30 forte pluie et grand vent. Le 3ème bataillon a été relevé par un bataillon du 161ème. Le 31 on nous apprend que nous allons être relevés. Comme depuis 9 jours on mène une vie qui n'est plus tenable, jours et nuits au travail et dans la boue par dessus les genoux., un coup de colère et pour que l'on puisse rien me faire faire j'ai bu pour une fois de plus un bon coup de trop et me suis couché.

A minuit nous avons été relevés et bien content que l'on était.

Avant l'offensive du Chemin des Dames

Le 1er janvier 1917 à 4 heures du matin nous étions arrivés à Courtémont où nous avons mangé la soupe et à 6 heures on se remettait en route pour aller cantonner à Daumartin Laplanchette, où pour une fois de plus on s'en est pas fait un brin. Quoique pour un premier de l'an c'était bien triste. Le 2 on est allé cantonner à Epense. Le 3 à Contault. Le 4 au hameau de Cavagny (Coulvagny) près de Saint-Amand. Le 5 repos et revue. Le 6 départ 7 heures, cantonné à Humbauville. On est passé à Somme-Puy (Sompuis). Dimanche 7 départ 8 heures, passé à Bréban et à Coole où nous étions passés en 1916 venant du camp de Mailly. On a cantonné à Chaudrey. Le 8 il pleut, installation du cantonnement. Le 9 tout le jour exercice.

Le 10 janvier tout le jour exercice. Moi je suis allé voir lancer pour la première fois des liquides enflammés. Le 11 le matin exercice, la soirée échange d'effets. Le 12 le matin je suis allé voir faire la gymnastique à la méthode Hébert. C'est Hébert qui commandait lui-même. Y assistaient le général de division Philippeau (Philipot), les colonels des 35, 42, 44, 60, et beaucoup d'officiers et sous-officiers de ces mêmes régiments. Le 13 je suis de jour. A ce moment il y avait pour le moins la moitié de la compagnie en permission. Nous n'étions que 4 sergents, aussi on était toujours occupés. A Chaudrey on était assez bien vu des habitants mais on était mal logé et pourtant à ce moment il faisait froid et il tombait de la neige tous les jours. Chaudrey est un petit pays pauvre situé sur le bord d'un marais où par de grandes pluies il est menacé d'être couvert d'eau.

Dimanche 14 repos. Le 15 la soirée exercice de bataillon. Le 16 même chose, mais ce jour là il est tombé de la neige en quantité. Le 17 je suis de jour, théorie et exercice pour la compagnie. Le 18 exercice de bataillon. Le 19 théorie. Le 20 je suis de garde au poste de police. Le 21 plusieurs camarades sont rentrés de permission, aussi dans la soirée ce fut la nouba. Le 22 je suis de jour. Le matin préparatifs de départ. La soirée exercice de manoeuvre de régiment devant une commission anglaise où se trouvait plusieurs généraux.

Le soir à 5 heures départ de Chaudrey. A 7h30 nous arrivions à Torcy-lr-Grand où on a cantonné. Il faisait un froid terrible. Le 23 le matin revue du cantonnement, le soir exercice. Le 24 repos. Ce jour-là malgré la glace on est allé à la pêche qui a été très bonne.

Le 25 janvier départ de Torcy-le-Grand à 10 heures du matin. Passé par Arcy où là on a défilé devant le général Debaselaire. Nous avons cantonné à Longueville. Le 26 départ à 7h50. Ce jour-là nous avons quitté le département de l'Aube pour rentrer dans celui de la Marne. Il faisait très froid. Nous sommes allés cantonner à Sézanne, pays important et joli où on a été très bien reçu. Sézanne n'a pas souffert des orgies de la guerre mais en 1914 les boches sont restés plusieurs jours qu'à 2 ou 3 km de ce dernier. On se souviendra longtemps de la famille Pinard où là on était presque chez nous. Le 27 et le 28 exercice. Le dimanche 28 on a cependant pu aller à la messe. L'église de Sézanne est très jolie. Ce même jour le sous-lieutenant Cahen est venu souper avec nous. C'était un ancien sergent de la 5ème compagnie. Nous avons mangé des gaufres offertes par la famille Pinard.

Le 29 janvier départ de Sézanne à 8 heures. Nous sommes allés cantonner à Fromentières. Le 30 au Breuil il faisait toujours très froid. C'est là que tous les jours il nous fallait manger notre pain tout glacé. On peut deviner la belle existence, et il nous fallait faire tous les jours de 25 à 30 kilomètres. Le 31 on a cantonné à Passy-Grigny.

Le 1er février repos. Le 2 départ 7 heures, on a cantonné à Janvry. Le 3 à Champigny. Les 4-5-6-7-8 et 9 tous les jours exercice mais il fait toujours très froid. Champiny est un joli petit pays où en 1914 il y a eu un fort combat entre Français et boches qui dura 2 jours mais les Français eurent la supériorité. Le 10 départ de Champigny à 5 heures du soir pour aller cantonner à Reims.

Le 11 nous avons relevé en première ligne la 9ème compagnie du 410ème à droite du Cavalier de Courcy. Elle se trouvait de chaque côté de la voie ferrée. Le secteur était absolument très calme, on n'aurait pas dit la guerre. A ce moment le lieutenant Vieney (Vienney) était en permission, aussi je me trouvait être chef de section. Le 13 toujours très calme. La nuit nous avons placé du fil de fer devant le petit poste 14. Ce même jour un coup de main a été fait à notre droite par le 293ème. Les résultats n'ont pas été appréciables.

Le 14 février le secteur était toujours très calme. Le soir même travail que la veille. Le 15 tout va toujours très bien. Dans la nuit de 20 heures à 22 heures une patrouille a été faite devant le front de la section. Tout s'est passé sans incident. Le 16 nous avons placé du fil de fer devant le petit poste 13.

Le 17 le temps a un peu changé. Il ne fait plus froid mais vu le grand dégel les tranchées s'écroulent partout, aussi c'est un travail immense pour nous. Les 18-19-20-21 toujours très calme mais beaucoup de travail. Les tranchées à ce moment là étaient pleines d'eau et de boue, aussi c'est la triste existence qui est à recommencer. Le 22 toujours la même chose. Ce jour-là le lieutenant Vieney (Vienney) est rentré de permission. Le 23 notre artillerie a bombardé les tranchées boches. On n'a pas eu de réponse.

Le 24 février je suis parti en permission. Le soir j'ai couché à Champigny. Le 25 à 6 heures du matin je prenais le train à Muizon. J'étais à Paris à 1 heure de l'après-midi et en suis reparti à 3 heures. Le 26 à 8 heures du matin j'arrivais à Gémozac. J'ai passé une très bonne permission pendant laquelle je suis allé aux foires de Tesson, Champagnolles, Pons et de Saintes où je ne me suis pas ennuyé.

Le 8 mars à 2 heures du matin j'étais de retour à Muizon. Il faisait très froid et il y avait beaucoup de neige. A 9 heures j'étais à Reims où j'ai trouvé la compagnie au repos et très bien logée. Si la permission s'était bien passée le retour n'était pas mauvais non plus. Les 9-10-11-12-13 et 14 nous avons été vraiment tranquille. Tous les jours nous n'avions qu'à boire et à manger, nous chauffer et dormir. Il y avait toujours beaucoup de neige, elle a commencé à fondre le 14. Notre petit séjour à Reims nous a permis de visiter un tout petit peu la ville qui m'a paru très jolie. J'ai pu voir la cathédrale mais à ce moment là déjà elle était dépouillée de ces plus beaux ornements. On y voyait encore à cette époque de très jolis magasins de toute sorte. Il y avait encore à ce moment là beaucoup d'habitants, pourtant les boches n'en étaient au plus qu'à 3 kilomètres.

Le 15 à 8 heures du soir nous avons été relevé par le 410ème d'Infanterie et sommes allés cantonner à Ormes. Le 16 beau temps, aussi grande activité des avions. Le 17 je suis de jour, la soirée exercice. Le 18 un dimanche repos. Je suis allé à la messe et aux vêpres. Le 19 et le 20 exercice et signalisation. Le 21 départ d'Ormes à 5 heures du soir. Nous sommes allés cantonner à Poilly où on était tout à fait mal logé. Le 22 il tombait de la neige, installation du cantonnement et revue d'armes. Le 23 beau temps, exercice. Le 24 aussi. Le 25 j'étais de garde au poste de police. Le 26 départ de Poilly à 8 heures du matin. On est allé cantonner à Germigny. Le 27 tout le jour exercice. Le 28 j'étais de jour. Départ de Germigny à 4 heures du soir. On est passé par Rosnay et plusieurs autres pays. Nous sommes arrivés à Hermonville à 9 heures du soir, où on a pris la place du 42ème d'Infanterie. Ce même jour je suis passé à côté de Marius Aubert mais comme il faisait nuit on ne s'est pas vu.

Le 29 mars repos. Reconnaissance du secteur par les officiers. Le soir départ d'Hermonville à 17h30. Il pleuvait. A 11 heures nous avons relevé un bataillon du 42ème à la droite du château du Godat. La relève s'est passée sans incident. Le 30 il pleut toujours et forte canonnade.

Le 31 il faisait beau temps. A 7 heures du matin on était au travail, à 9 heures les boches se sont mis à bombarder notre secteur. Cela dura plusieurs heures, si bien que plusieurs tranchées étaient comblées par les éboulements. Heureusement aucun incident de personne. Ce même jour les cuisines du bataillon furent démolies. La soirée il a plu. La nuit fut calme et 25 hommes de la 2ème compagnie sont venus travailler à relever les tranchées. Tout cela ne nous apportait pas la gaieté.

Le 1er avril il pleuvait. Le bombardement fut continu tout le jour mais principalement sur l'arrière. Le 2 encore la pluie, la journée a été calme. Le 3 beau temps, aussi tout le jour on a travaillé.

Coup de main allemand (commando)

Le 4 au matin le temps était brumeux. Vers deux heures de l'après-midi les boches déclenchèrent un bombardement sur la première ligne, laquelle était devenue intenable. Mais il a fallu y rester puisqu'on ne pouvait aller ailleurs. A quatre heures attaque par les boches, qui dans l'espace de 10 minutes nous firent la moitié de la compagnie prisonnière. Il y eut 6 ou 7 morts, parmi eux le sergent Eyrau Batistin (Baptistin Eyraud) et le soldat Gaudron (Jean Gauderon). Je les ai beaucoup regrettés car c'étaient de bons camarades. Comme prisonniers se trouvaient le sous-lieutenant Mimaud, l'aspirant Gaide (Marius Gaide), les sergents Nicolot, Caeyla (Casimir Cayla) et Villard (Henri Vuillard) qui furent regrettés par la compagnie ainsi que leurs hommes dont je ne puis citer tous les noms. Ce fut une bien triste journée, surtout la nuit qu'il nous a fallu passer dans et sous l'eau. Le bombardement fut continu et où nous étions nous sommes restés sans nouvelle de personne jusqu'à 3 heures du matin. Le 5 à 5 heures nous devions attaquer mais on s'est aperçu que les boches étaient partis, aussi on n'a eu que la peine de revenir aux anciens emplacements où on a absolument rien trouvé. Les boches avaient tout emporté. La journée fut particulièrement calme. Les boches se trouvaient sans doute satisfaits de leur incursion. Néanmoins le soir vers 6 heures fausse alerte, tir de barrage des deux côtés, lequel dura bien une heure. Nous avons eu plusieurs blessés.

Le 6 à 1 heure du matin, vu nos pertes en homme à la compagnie, la 9ème est venue nous relever. Nous sommes allés à Hermonville. La soirée je suis allé reconnaître les emplacements de la première compagnie en 2ème ligne. Les 7-8-9-10 et 11 tous les soirs départ d'Hermonville à 6 heures et on rentrait le lendemain matin à 5 heures. Nous allions toutes les nuits faire des parallèles de départ devant la tranchée de première au Godat car nous devions attaquer peu de jours après. Ce travail était très fatiguant car il nous fallait trois heures pour monter en ligne et ensuite travailler le reste de la nuit et la plupart du temps sous les obus. Le 11 pour reformer la compagnie il est venu 95 hommes du dépôt divisionnaire. . Le 12 on a eu repos. Le 13 dans la nuit on est allé travailler. Le 14 on a eu repos. Le 15 à 6 heures du soir départ d'Hermonville pour monter en ligne prendre nos emplacements pour l'attaque qui était le lendemain 16, mais on ignorait encore l'heure. Dans la nuit il a plu un petit peu. En arrivant aux tranchées je suis allé avec deux hommes couper les fils de fer en avant des lignes pour pouvoir passer plus à notre aise.

L'offensive générale du Chemin des Dames

Le 16 à 6 heures du matin départ pour l'attaque. Le premier bataillon était en première ligne, le 2ème en seconde. A 6h10 nous arrivions à la première ligne boche où on a trouvé un peu de résistance et où je fus blessé à l'épaule gauche avec beaucoup de peine.

Blessure et convalescence à Gimont, Gers

A 8 heures j'étais au poste de secours où on m'a fait mon pansement et fait boire un plein verre d'eau-de-vie. Ce qui a un peu arrêté le sang que je crachais à pleine bouche. Aussitôt soigné je fus emporté à la route 44 où là deux prisonniers boches m'ont pris et transporté à Cauroy où en arrivant je fus pris par une automobile et transporté à Bouleuse où en arrivant on m'a fait une piqûre, et de là je suis resté sans soin jusqu'au 17 à midi. Je ne saurais vous expliquer mon ennui et ma souffrance et avec cela pas moyen de bouger. A midi je fus opéré dans la salle 40 et transporté ensuite dans la salle 100 B où là je me suis réveillé dans un lit, et un peu soulagé sur le moment. Mais cela ne dura pas longtemps. Mon pansement fut refait le 20 et le 23. Comme soin chirurgical on était bien mais en nourriture on y était très mal. Aussi je demandais qu'une chose, partir au plus vite. Et puis Bouleuse n'était qu'à 12 kilomètres des lignes boches et pouvait être bombardée à chaque instant. Là encore on ne pouvait dormir, à cause du bombardement.

Le 23 à 11 heures du soir on nous a transporté dans un train sanitaire dans lequel on était aussi bien soigné que dans l'ambulance. Le 24 à 2 heures du matin nous quittions Bouleuse. On est passé par Châlons-sur-Marne. Dans la nuit du 25 nous étions en gare de Toulouse et le 26 à 8 heures du matin nous arrivions à Gimont dans le département du Gers où on nous a transporté aussitôt une partie au collège et l'autre à l'hôpital civil où je me suis trouvé. Le voyage a été long et fatiguant. J'ai beaucoup souffert et beaucoup comme moi car nous étions 130. Le bon accueil des gens de Gimont fut pour nous très réconfortant car on n'aurait pu être mieux reçu et mieux soigné. Je me souviendrais longtemps du chirurgien Monsieur Gondre, de la soeur Marie-Josephe et de mademoiselle Peyne. Le moment où je fus le plus malade c'est du 10 au 15 mai, mais à ce moment j'avais eu des nouvelles de mes parents et amis, aussi cela me rendait heureux dans ma souffrance. Je me suis trouvé mieux le 13 juin. C'est la première fois que j'ai pu dormir tranquille depuis que j'étais blessé. Le 15 juin j'ai recommencé à me lever tous les jours, aussi à partir de ce moment j'ai pu trouver du mieux de jour en jour. Le 14 juillet je suis allé me promener à Sobiet en voiture avec le camarade Sarrat. Le 15 juillet le chirurgien m'a mis pour la première fois mon bras en écharpe. A la fin du mois de juillet je suis allé passer 2 jours chez nous pour voir mon frère Henri que je n'avais pas vu depuis le 20 juillet 1914. Dans le courant du mois d'août j'y suis retourné passer trois jours pour voir mon frère Alphonse en permission de Salonique. Lui je ne l'avais pas vu depuis le mois de décembre 1914. Tout cela était un bonheur pour moi de revoir ma famille et mes amis. A ce moment là ma plaie allait beaucoup mieux. Le 5 septembre 1917 j'ai quitté l'hôpital de Gimont, ma plaie était complètement refermée.

Hôpital maritime de Rochefort et réforme

Le 6 j'arrivais à Gémozac et le 7 à 11 heures du soir je rentrais à l'hôpital maritime de Rochefort-sur-Mer où la vie n'était pas si gaie comme à Gimont. On y avait que trois permissions de sortie par semaine et quoique pas loin de Gémozac je ne pouvais y aller. Pour la Toussaint on a eu 24 heures de permission, aussi je suis allé les passer à Gémozac dans ma famille, ce qui m'a fait beaucoup plaisir. Le 1er décembre j'étais à la foire de Saintes sans permission. Là j'ai appris la mort de mon oncle Pierre Vincent de Vouvent. Les 8-9-10-11-12 décembre 1917 j'étais en permission chez nous. C'était la première fois depuis que j'étais blessé que j'avais une permission me permettant de pouvoir voir ma famille, aussi en étais-je heureux. Le 14/12/17 j'ai passé une visite après laquelle j'ai été proposé pour la réforme n°1 par Monsieur le professeur Ledantec et le médecin chef Monsieur Foucaud.

(fin du recopiage de décembre 1917).

Noël et le premier de l'an furent tristes car nous n'avons pas eu de permission et il y avait une épaisse couche de neige.

1918

Le 8 janvier 1918 je quittais l'hôpital maritime à 5 heures du matin pour me rendre au centre de réforme de Saintes où le 9 je passais ma visite d'entrée, le 10 un examen électrique, le 11 la radiographie et le 12 la radioscopie.

Le 25 je suis passé devant la commission de vérification où j'ai réclamé mais sans obtenir de résultat, alors j'ai signé ma proposition. Le soir à 18 heures j'ai passé la visite du médecin expert le médecin chef Robert à quatre galons qui en temps de paix était docteur à Saint-Fort-sur-Gironde. Le 27 j'étais en permission de 24 heures à Gémozac. Le 29 j'ai passé la commission de réforme présidée par le général Hubert, ancien colonel du 123ème. Alors là j'ai été réformé temporaire n°1. Le soir je suis allé à la veillée chez Eugénie Baudin en compagnie de Germaine Chouc. Le 30 je suis allé au D.T.I. à Bordeaux pour me faire déshabiller et régler ma situation militaire. Le soir je reprenais le train pour venir coucher à Pons. Le 31 à 10 heures je rentrais chez nous.

Le 4 (février) j'étais à la foire de Saintes. Le 5 j'ai envoyé une lettre au dépôt du 60ème avec plusieurs certificats pour réclamer l'argent qui m'y était dû. Ce même jour j'ai vu chez nous mon beau-frère Bailly arrivé en permission de la veille. Je ne l'avais pas vu depuis le mois de juillet 1914.

Réformé définitivement à Bordeaux le 10 janvier 1922.

Rempli une feuille pour la proposition de médaille militaire le 8 novembre 1928.

Cahier Constant Vincent version documentée